La restructuration des régimes de retraite du secteur privé : les enseignements du cas de Papiers White Birch
Par François L’Italien et Frédéric Hanin, Observatoire de la retraite (Extrait du Bulletin #4 - Le savant et la politique)
Au cours des dernières années, les régimes de retraite du secteur manufacturier au Québec, et en particulier ceux de l’industrie forestière, ont connu d’importantes restructurations. Si peu de personnes ne doutaient, il y a quelques années encore, de la santé financière des régimes offerts dans ce secteur, il est étonnant de constater à quelle vitesse se sont succédé les terminaisons et la reconfiguration de ces régimes. En l’espace d’une décennie, la sécurité financière des retraités et futurs retraités de ce secteur a été sévèrement compromise.
Il importe de revenir sur les enseignements que l’on peut tirer de cette évolution récente, de manière à comprendre les dynamiques économiques et les faiblesses de régulation publique qui ont mené à cette remise en cause de la sécurité financière des retraités ayant œuvré dans le secteur privé. Avoir une lecture appropriée de cette évolution peut permettre d’éviter qu’elle ne s’impose sans débat ni propositions alternatives. Cas emblématique d’une restructuration unilatérale de régimes de retraite, Papiers White Birch fournit un certain nombre d’indications utiles.
Le cas Papiers White Birch
En février 2010, l’entreprise Papiers White Birch (PWB) se mettait sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Propriétaire de trois usines de pâtes et papiers au Québec (Rivière-du-Loup, Québec et Masson), PWB a évoqué de graves difficultés financières associées aux marchés des produits forestiers pour justifier le recours à la LACC. Or, si l’on peut effectivement souligner l’importance de la conjoncture du secteur pour expliquer ces difficultés, on doit du même coup relever le fait que l’entreprise ait emprunté près de 900 millions $ pour financer sa croissance, malgré des signaux défavorables du marché. Au final, cet endettement a littéralement plombé le bilan de l’entreprise, et s’est avéré démesuré vis-à-vis de ses capacités financières réelles à rembourser. En fait, l’analyse de ce cas a montré que plusieurs questions portant sur les stratégies et les motifs de l’entreprise PWB l’ayant conduit à recourir à la LACC sont restées sans réponses.
Il faut dire que PWB n’a pas été la première entreprise du secteur à se mettre sous la protection de cette loi : Smurfit-Stone, AbitibiBowater (maintenant Produits forestiers Résolu) et Papiers Fraser s’étaient déjà prévalues de cette disposition légale en 2009. Il est ainsi possible de parler d’un « patron » sectoriel de gestion de l’endettement, qui a permis aux entreprises, comme nous allons le voir, de se restructurer en dehors des cadres « ordinaires » de négociation. Rappelons que c’est dans la foulée d’une restructuration menée sous la LACC qu’AbitibiBowater a mis en place un nouveau type de régime de retraite à prestations cibles (voir encadré). On se souviendra aussi qu’AbitibiBowater, dans le même contexte, avait obtenu de l’Assemblée nationale du Québec une modification de la Loi sur les régimes complémentaire de retraite afin de bénéficier d’allègements pour une période de 15 ans dans le financement du déficit de solvabilité.
Régimes à prestations cibles dans le secteur des pâtes et papiersCARACTÉRISTIQUES5. Un régime à prestations cibles établi en vertu du présent règlement doit comporter les caractéristiques suivantes:1° les cotisations patronales et les cotisations salariales ou la méthode pour les calculer sont déterminées à l'avance; 2° le régime détermine la cible des prestations, incluant toute prestation accessoire, en fonction de laquelle est établie la cotisation d'exercice; 3° la rente normale peut varier en fonction de la situation financière du régime, de même que toute prestation accessoire prévue par le régime; pareille variation étant décrite dans le rapport relatif à l'évaluation actuarielle du régime; 4° malgré l'article 39 de la Loi, la cotisation patronale au régime se limite à celle fixée par le régime; 5° le coût des engagements du régime, déduction faite de la cotisation patronale qui y est fixée, est à la seule charge des participants et bénéficiaires du régime, selon les conditions prévues par l'article 27; 6° seuls les participants et bénéficiaires ont droit à l'excédent d'actif en cours d'existence du régime tout comme en cas de terminaison de celui-ci; 7° le régime ne comporte aucune disposition à cotisation déterminée ni de dispositions qui, dans un régime de retraite à prestations déterminées, sont identiques à celles d'un régime à cotisation déterminée. D. 1052-2013, a. 5. 6. Un régime à prestations cibles constitue, pour l'application de la Loi, un régime à prestations déterminées. D. 1052-2013, a. 6. |