La retraite et le dialogue social : le cas de la Suisse
Par Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite
Après avoir présenté dans des bulletins précédents les systèmes de dialogue social de la France et du Royaume-Uni, cette chronique veut présenter le système de retraite de la Suisse, ainsi qu’une institution de dialogue social importante pour les aînés et le gouvernement de ce pays. Comme pour les derniers bulletins en matière de dialogue social dans le domaine de la retraite, l’objectif est de documenter des exemples internationaux pouvant servir d’inspiration pour les acteurs sociopolitiques du Québec en matière de retraite.
Un aperçu du système de retraite Suisse
Le système de retraite Suisse repose sur les trois piliers et est le fruit de décisions remontant au 19ème siècle. À l’initiative de Bismarck en Allemagne, c’est en 1890 que la Suisse se dote d’un article constitutionnel lui permettant d’instituer des assurances dans certains domaines comme celui de la maladie et des accidents. Le domaine de la retraite, qui était traité en second plan à cette époque, prend une plus grande ampleur après la Première Guerre mondiale. Si un projet de premier palier financé par des cotisations sociales et l’impôt ne passe pas le test d’un référendum en 1931, les caisses de retraite gérées par l’industrie de l’assurance privée étaient en vogue. En effet, leur nombre augmentait et de plus en plus d’employés y cotisaient. Tout juste avant la Deuxième Guerre mondiale, les réserves des caisses de retraite étaient supérieures à un quart du produit intérieur brut de la Suisse[1].
Ce n’est qu’en 1948 que l’Assurance vieillesse et survivants (AVS), qui constitue le premier pilier du système de retraite suisse, verra le jour dans la foulée du rapport Beveridge, déposé en Angleterre, et la mise en place d’autres systèmes similaires dans les pays occidentaux. L’AVS est un régime par répartition financé par les cotisations des employés et des employeurs. Il offre un revenu minimal aux retraités selon le nombre d’années de cotisations et le revenu moyen de carrière. Ainsi, les employeurs et les employés versent ensemble 8,7 % du salaire des assurés. Au début de 2020, la rente mensuelle minimale de vieillesse était de 1 185 francs suisses (environ 1 720 dollars canadiens) alors que la rente maximale de vieillesse était de 2 370 francs suisses (environ 3 440 dollars canadiens)[2]. Sous juridiction fédérale, l’AVS peut aussi verser des prestations complémentaires pour les retraités en difficultés financières[3]. Depuis 2005, l’âge de la retraite est de 64 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes, malgré plusieurs tentatives récentes du gouvernement d’augmenter l’âge de la retraite des femmes.
Le deuxième pilier est constitué de la Prévoyance professionnelle vieillesse, qui complète le premier pilier du système de retraite en Suisse. Introduite en 1985, la Loi sur la prévoyance professionnelle est placée sous la surveillance des cantons. Ensemble, les deux premiers piliers doivent couvrir environ 60 % du dernier salaire afin de permettre aux retraités de maintenir leur niveau de vie antérieur. Tous les salariés y sont soumis à titre obligatoire et le taux de cotisation minimal varie entre 7 % pour les 25-34 ans et 18 % pour les 55-64 ans[4]. Si ce taux de cotisation minimal est payé à la fois par l’employeur et l’employé, les employeurs peuvent verser une plus grande part afin d’attirer et de retenir leur main-d’œuvre.
Les régimes du deuxième pilier sont à cotisations déterminées. En plus des cotisations réalisées sur l’ensemble de la vie active, l’épargne accumulée augmente chaque année en fonction d’un taux d’intérêt minimal appliqué par les assureurs. Ce taux d’intérêt est décidé par le gouvernement en fonction des obligations de l’État suisse et d’autres produits financiers comme les actions ou les biens immobiliers. Le gouvernement consulte également les partenaires sociaux pour fixer ce taux[5]. L’épargne peut être retirée pour l’achat d’un bien immobilier.
L’épargne individuelle forme le troisième pilier, qui peut prendre deux formes (A et B) pour les citoyens désirant bonifier leur revenu de retraite. La forme A permet aux épargnants de déduire leurs cotisations et les rendements de l’impôt, tout en devant respecter un certain plafond de cotisation. De même, les avoirs ne sont pas soumis à l’impôt sur la fortune. Les sommes sont bloquées jusqu’à cinq ans avant la retraite, ou encore pour acheter une maison. Cette forme ressemble donc beaucoup à nos REER canadiens. La forme B, quant à elle, est un contrat entre l’épargnant et un assureur où, en échange d’une prime, le premier pourra toucher les fonds avec les rendements après un certain nombre d’années. Cela s’apparente aux dépôts à terme à rendement variable en vigueur ici, notamment puisque l’argent placé dans le pilier B est investi dans différents produits financiers[6].
Le dialogue social en Suisse
Plusieurs associations de retraités et d’ainés existent en Suisse. Elles peuvent être municipales, cantonales, régionales ou nationales. Elles s’intéressent à des enjeux divers comme l’isolement des personnes aînées, la discrimination, le système de santé et le filet de sécurité social. Deux associations nationales fédèrent plusieurs associations plus petites, soit la Fédération des Associations des retraités et de l’entraide en Suisse (FARES) et l’Association Suisse des Aînés (ASA). Ces deux associations sont les membres fondateurs du Conseil suisse des aînés (CSA), qui ne peut accueillir d’autres organisations que si les deux associations fondatrices l’acceptent. Elles fournissent chacune la moitié des délégués du CSA, qui votent les orientations et positions du CSA conformément à ses missions. Ainsi, les travailleurs et les employeurs ne sont pas présents au sein du CSA. Le CSA existe depuis 2001 et agit en qualité d’organe consultatif du Conseil fédéral (l’équivalent du Conseil des ministres) et auprès de l’opinion publique pour les questions liées à la vieillesse. Également, il intervient sur certaines questions liées au logement au sein de la Commission fédérale du logement. Le CSA a les objectifs suivants :
- Défendre la dignité, la qualité de vie et l’autonomie des personnes âgées ;
- Améliorer la considération par le public de ce groupe de population ;
- Promouvoir la participation des générations âgées dans la société et la solidarité entre les générations ;
- Défendre les intérêts sociaux, culturels et économiques des personnes les plus âgées ;
- Promouvoir la poursuite du développement d’un réseau de sécurité sociale, acceptable par la société et l’ensemble de la population ;
- Représenter les anciennes générations dans chaque organisation qui est active dans les domaines de la politique de la vieillesse[7].
Ces missions sont reconnues par l’État fédéral Suisse qui verse une subvention d’environ 300 000 francs suisses (environ 440 000 dollars canadiens) par année pour la période 2019-2022[8]. Ces fonds proviennent du fonds de consolidation de l’AVS, les réserves du premier palier, et permettent au CSA d’atteindre ses objectifs notamment en :
- Participant à la préparation et aux consultations de l’administration fédérale de projets de loi qui concernent les politiques de société, les politiques sociales et de vieillesse ;
- Conseillant le Conseil fédéral dans les questions de vieillesse ;
- Remplissant les tâches qui lui sont confiées par le Conseil fédéral, le parlement ou les départements ;
- Organisant des manifestations pour faire connaître ses objectifs et pour la promotion de ses activités ;
- Collaborant avec d’autres organisations ayant des objectifs similaires[9].
En somme, la Suisse s’est dotée d’une institution donnant une voix aux personnes aînées auprès du gouvernement et de la population. Le CSA dispose de moyens pour remplir ses missions et s’appuie sur une structure démocratique permettant aux aînés de prendre position sur les questions politiques et sociales.
Conclusion
Au fil des années, le CSA a pris position sur divers enjeux touchant particulièrement les ainés suisses et le système de retraite. Par exemple, une réforme fiscale visant à assainir les bilans financiers du deuxième palier, la Réforme de la Prévoyance vieillesse 2020, a été appuyée par le CSA, qui encourageait la population à voter en faveur de cette réforme[10]. Ce projet a été rejeté par la population lors d’un référendum[11]. De plus, le CSA s’est déjà positionné en faveur d’une autre réforme, le projet AVS 21, prévoyant notamment augmenter l’âge de la retraite des femmes à 65 ans afin de prévenir le manque de financement du premier palier[12]. Les prises de position du CSA peuvent donc être impopulaires auprès de la population et elles incarnent bien la difficile conciliation entre la défense du niveau de vie des retraités actuels et la pérennité du système de retraite pour les retraités futurs. Si les associations membres du CSA soutiennent spontanément la défense du niveau de vie des retraités actuels, la population a exprimé par référendum son refus de voir des acquis sociaux s’éroder. Enfin, bien que le CSA ne représente que des retraités et des aînés, il s’agit là d’une pièce importante du dialogue social en Suisse dont le Québec pourrait s’inspirer.
[1] Office fédéral des assurances sociales. (2013). Vieillesse. https://www.histoiredelasecuritesociale.ch/risques/vieillesse/
[2] Office fédéral des assurances sociales. (2020). L’assurance-vieillesse et survivants AVS. https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv.html
[3] Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. (2019). Le régime suisse de sécurité sociale (salariés). https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_suisse_salaries.html
[4] Talerman, D. (22 août 2020). Retraite et prévoyance en Suisse (AVS-AI, LPP et 3ème pilier). https://www.travailler-en-suisse.ch/caisses-retraite-suisse.html#AVS
[5] N.d. (6 novembre 2019). Prévoyance vieillesse : le taux d’intérêt minimal de la LPP maintenu à 1%. Le Nouvelliste. https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/prevoyance-vieillesse-le-taux-d-interet-minimal-de-la-lpp-maintenu-a-1-879613
[6] Talerman, D. (22 août 2020). Retraite et prévoyance en Suisse (AVS-AI, LPP et 3ème pilier). https://www.travailler-en-suisse.ch/caisses-retraite-suisse.html#AVS
[7] Conseil suisse des aînés. (n.d.). À propos de nous. https://ssr-csa.ch/fr/a-propos-de-nous/#idee-directrice
[8] Confédération suisse. (n.d.). Contrat de subvention
[9] Conseil suisse des aînés. (n.d.). À propos de nous. https://ssr-csa.ch/fr/a-propos-de-nous/#idee-directrice
[10] Conseil suisse des aînés. (11 mai 2017). Oui à la Réforme Prévoyance vieillesse 2020. https://ssr-csa.ch/fr/oui-a-la-reforme-de-la-prevoyance-vieillesse-2020/
[11] Confédération suisse. (7 octobre 2020). Loi fédérale sur la réforme de la prévoyance vieillesse 2020. https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/rf/cr/2014/20141890.html
[12] Conseil suisse des aînés. (12 octobre 2018). Stabilisation de l’AVS inévitable!. https://ssr-csa.ch/fr/stabilisation-de-lavs-inavitable-2/