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Le développement des inégalités avec l’âge. Note-synthèse sur un rapport de l’OCDE

Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a publié cet automne un rapport intitulé « Prévenir le développement des inégalités avec l’âge[1] ». Ce rapport examine comment les inégalités se développent durant le parcours de vie des personnes et se matérialisent à la retraite par des conditions économiques ou de santé préjudiciables. Il recommande un agenda de politiques publiques pour prévenir, diminuer et faire face aux inégalités en s’inspirant des meilleures pratiques mises en place par les pays de l’OCDE et des économies émergentes. La présente chronique offre un aperçu des grandes lignes de ce rapport. Un accroissement des inégalités de revenus Pour plusieurs membres de la génération des milléniaux (qui ont obtenu la majorité après l’an 2000), le travail atypique et les périodes d’emploi suivies de périodes d’inactivité sont devenus la norme. Depuis la moitié de la décennie 1980, les taux de pauvreté relative (soit moins de 50 % du revenu médian) ont augmenté de manière continue pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans pour atteindre 13,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Au Canada, ce taux a atteint 17,1 %. En comparaison, les taux de pauvreté des personnes âgées de 66 à 75 ans sont plus stables et ont été relativement protégés de la crise financière de 2008-2009 (10,6 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et 6,4 % au Canada), alors que les taux de pauvreté des personnes de 76 ans et plus sont beaucoup plus élevés (14,4 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et 6 % au Canada). Les inégalités de revenus sont plus élevées maintenant que depuis le dernier demi-siècle. Le revenu moyen des 10 % les plus riches est neuf fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Malgré la reprise économique dans plusieurs pays après la crise de 2008-2009, les inégalités de revenus demeurent à des niveaux historiquement élevés. Dans la plupart des pays de l’OCDE, les inégalités de revenus ont augmenté entre les générations. En comparant la situation des personnes du même âge nées en 1920 et en 1980, le rapport fait voir une augmentation du coefficient de Gini (coefficient mesurant les inégalités de revenus) de 4,4 points de pourcentage en moyenne parmi les pays de l’OCDE. Le Canada présente une augmentation des inégalités de génération en génération du même ordre, soit de 4,1 points de pourcentage. Les régimes de retraite publics contribuent évidemment à réduire les inégalités et la pauvreté chez les personnes aînées. Actuellement, les inégalités chez les Canadiens de 65 ans et plus (coefficient Gini de 0,276) se comparent à celles de la moyenne des pays de l’OCDE (coefficient Gini de 0,294). Les travailleurs faiblement rémunérés (moins de 50 % du revenu moyen d’emploi) font face à de piètres perspectives de retraite, même s’ils ont accumulé des cotisations pendant toute leur carrière. Le niveau de remplacement de revenu attendu pour ces travailleurs canadiens est de 39 % pour les systèmes de retraite obligatoire, comparativement à une moyenne de 68 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Les inégalités dans les soins de longue durée pour les dernières années de vie Le rapport aborde aussi la question des inégalités vis-à-vis des soins de longue durée. Sans surprise, les personnes ayant un statut socio-économique plus précaire sont doublement désavantagées face à ce type de soins. En effet, en plus de présenter davantage de problèmes de santé, leurs ressources matérielles pour y faire face sont plus faibles que les autres groupes de la société. À cet égard, l’aide gouvernementale varie beaucoup d’un pays à l’autre : la proportion des coûts de santé défrayés par l’État pour des individus aux besoins modérés gagnant le revenu médian est aussi faible que 6 % dans certains états des États-Unis. À l’opposé, ces soins sont offerts gratuitement ou totalement remboursés en Suède, en Islande et aux Pays-Bas. Les inégalités de revenus ou de scolarité se traduisent par une inégalité de l’espérance de vie. Par exemple, l’écart de l’espérance de vie à 25 ans entre les Canadiens très scolarisés et les moins scolarisés est de 4,1 ans, comparativement à 14 ans pour la Hongrie, le pays ayant l’écart le plus élevé. Plusieurs pays font appel aux proches aidants afin de réduire les coûts de leur système de soins. Cela ne semble toutefois pas être une bonne solution : les proches aidants ont, en moyenne, 20 % plus de problèmes de santé mentale que l’ensemble de la population. Ils sont en outre souvent contraints de réduire leurs heures de travail, voire de cesser de travailler afin de prendre soin de leur proche. Les femmes comptent pour 55 % à 70 % des proches aidants dans les pays de l’OCDE. Cette surreprésentation des femmes est plus importante dans les pays où l’État débourse peu pour soutenir les soins de longue durée. Les dépenses personnelles pour les soins de santé peuvent placer les individus en situation de pauvreté. Selon les systèmes mis en place dans les États, il peut être encore plus difficile pour le dernier quintile (les 20 % de la population ayant les plus faibles revenus) de satisfaire des besoins de santé moyens. La Nouvelle-Écosse et l’Ontario font partie des régions étudiées où ce groupe de la population peut débourser pour des besoins de santé moyens sans tomber sous le seuil de faible revenu, aux côtés de la Belgique, de l’Angleterre, de la Suède, de l’Islande et des Pays-Bas. Le Québec n’est pas une région étudiée par le rapport. Des politiques publiques adaptées : prévenir, atténuer et faire face Selon le rapport, à partir de l’âge de 50 ans, beaucoup peut être fait afin de diminuer les inégalités, même si elles sont déjà très présentes. Les politiques publiques mentionnées touchent à la promotion de modes de vie sains, à l’accès aux soins de santé, à l’adoption de politiques d’accès au marché du travail et de formation continue pour les travailleurs âgés et à la transition progressive à la retraite. Malgré la présence officielle de politiques d’accès aux soins de santé dans tous les pays de l’OCDE, plusieurs personnes sont incapables de répondre à leurs besoins médicaux de base, majoritairement parmi les groupes les plus défavorisés de la population, parce que le coût des soins est trop élevé. Afin de faire face aux inégalités chez les aînés, le rapport propose d’offrir un support financier adéquat, de l’assistance sociale à la bonne hauteur, un environnement social de qualité pour les personnes âgées, l’amélioration des soins de fin de vie, du soutien suffisant pour les proches aidants, l’augmentation des rentes publiques, l’augmentation de la couverture de la population dans les économies émergentes, l’ajustement des rentes pour les conjoints survivants et l’établissement d’une structure de pension unifiée pour tous les travailleurs. Les politiques publiques comme facteur d’accroissement des inégalités chez les aînés Dans les dernières décennies, plusieurs pays de l’OCDE ont réformé leurs systèmes de retraite afin d’en assurer la pérennité financière face aux changements démographiques. Cela s’est traduit par une diminution du niveau de remplacement du revenu et a privilégié les régimes davantage alignés sur les revenus gagnés durant la carrière, comme les régimes à cotisations déterminées. D’une manière générale, ceux-ci amoindrissent la redistribution vers les contributeurs moins nantis et augmente les inégalités. En outre, puisque l’espérance de vie est plus faible chez les personnes défavorisées, l’augmentation de l’âge de la retraite réduit davantage les rentes totales perçues par les personnes défavorisées, quoiqu’avec des effets très faibles. De plus, compte tenu que les personnes plus âgées ont moins d’opportunités quand vient le temps de se trouver du travail, l’augmentation de l’âge de la retraite est une mesure régressive puisqu’elle augmente les risques de précarité socio-économique de cette population. Puisque les régimes complémentaires de retraite utilisent les mêmes tables de mortalité pour tous les rentiers, les personnes vivant moins longtemps se retrouvent à financer les retraites des personnes ayant une plus longue espérance de vie et recevant des rentes pendant une plus longue période. Des pays comme le Royaume-Uni, le Portugal et le Brésil ont mis en place des dispositifs visant à ce que les rentes soient versées de manière plus équitable pour les rentiers ayant plus de chances de décéder de manière précoce. Le rapport ajoute que les incitatifs fiscaux encourageant l’épargne individuelle (comme les REER) sont régressifs, car l’ensemble de la population ne peut y contribuer de manière égale, en plus de fournir des incitatifs plus importants pour les cotisants ayant des revenus élevés. En somme, le rapport montre que la prévention des inégalités selon l’âge requiert une approche globale pour aider les personnes à surmonter les conditions désavantageuses qui peuvent s’accumuler au cours de la vie et résulter en situation de pauvreté une fois à la retraite. Les politiques publiques devront prendre acte des changements survenus dans le marché de l’emploi, dans la structure familiale et dans les risques associés à la santé afin d’intervenir de manière précoce sur la pauvreté et les inégalités, ce qui est plus efficient que d’en corriger les conséquences une fois que ces personnes sont retraitées. [1] Disponible en ligne : [http://www.oecd.org/fr/sante/preventing-ageing-unequally-9789264279087-en.htm].