Le modèle québécois de retraite : comprendre pour mieux agir collectivement
Extrait du Bulletin de la retraite numéro 1 Le savant et la politique
Débattre de manière rigoureuse de l’avenir du système de retraite au Québec implique de prendre le temps d’analyser les enjeux que cette question soulève et d’adopter une vision d’ensemble de cet arrangement institutionnel. Car en ces matières, les approches réductrices et basées sur le court terme exercent beaucoup d’attrait. En centrant uniquement les perspectives de réforme sur l’impact des déficits actuariels et des problèmes de capitalisation des régimes, plusieurs experts ont contribué à écarter du débat les enjeux économiques et sociaux plus fondamentaux associés à l’avenir du système de retraite québécois. Les réformes doivent être évaluées dans le contexte institutionnel et économique du modèle québécois de retraite. Pourquoi a-t-on institué des régimes de retraite au Québec? Quel était le pacte fondateur derrière cet arrangement institutionnel? Quels objectifs et fonctions économiques leur a-t-on collectivement assignés? Voilà des questions cruciales, touchant le cœur du modèle québécois de retraite, qui n’ont pas été formulées clairement dans l’espace public jusqu’à présent. Nous pensons que mieux comprendre les caractéristiques de ce modèle permettrait de mieux agir collectivement sur ses orientations et sa destinée.
Les particularités du modèle
Historiquement, les débats qui ont marqué l’institution et l’évolution du système de retraite au Québec ont constitué autant d’occasions pour réitérer des choix de société articulant sécurité du revenu et développement de l’économie québécoise. Ces choix ont conduit à un modèle de retraite particulier, valorisant l’intérêt général, la solidarité sociale et intergénérationnelle, ainsi que la participation démocratique à la vie économique. Les particularités institutionnelles de ce système nous rappellent en fait le poids des valeurs partagées et de la délibération collective dans la définition des finalités poursuivies par l’institution des régimes de retraite. • Le Québec est le seul État au Canada où les régimes complémentaires de retraite impliquent une participation de l’ensemble des parties prenantes pour définir les règles de la gestion de ces régimes. La législation sur les régimes complémentaires de retraite impose la création d’un comité de retraite ainsi que la nomination de représentants patronaux, de participants actifs ainsi que des retraités sur le comité de retraite.
Des gestionnaires de l’épargne publique avec un double mandat
• Le Québec a innové en créant en 1965 un gestionnaire public des régimes de retraite, la Caisse de dépôt et placement du Québec. Les objectifs étaient d’établir un circuit de financement de l’économie québécoise basé sur la canalisation de l’épargne dans le secteur public, de garantir un revenu stable à tous les retraités québécois, et d’éviter le contrôle exclusif des bassins d’épargne par les gestionnaires du secteur privé.
• Le Québec a également innové sur le plan de l’épargne-retraite individuelle avec la création des fonds de travailleurs, qui combinent l’avantage fiscal des régimes enregistrés d’épargne-retraite (RÉER) avec un crédit d’impôt pour capital de risque de travailleurs. Cette initiative syndicale appuyée par les deux niveaux de gouvernement (jusqu’à la décision du gouvernement Harper d’abolir le crédit fédéral) permet, à la fois, d’offrir une épargne pour la retraite accessible et de canaliser une partie de cette épargne vers des investissements à impacts économiques québécois.
Une large expertise syndicale dans tous les piliers du système de retraite
• Les syndicats québécois ont représenté un acteur important dans la définition collective des orientations et des modalités d’administration des régimes de retraite. Ils ont toujours été présents dans la négociation, la gestion et la défense des régimes de retraite, et ce, pour les quatre piliers du système de revenus de retraite au Canada. La présence de cet acteur a contribué à maintenir une culture de la participation aux institutions économiques névralgiques et a permis de développer une expertise financière dans les rangs des salariés, renforçant du coup les leviers de démocratie économique présents dans la société.
Une meilleure couverture des régimes collectifs par une approche sectorielle
• Les régimes à prestations déterminées sont encore relativement plus présents au Québec que dans le reste du Canada. Cette réalité peut être expliquée par les choix de société réalisés au fil des ans qui ont privilégié cette formule de sécurité du revenu. Non seulement ce type de régime procure-t-il une stabilité et une prévisibilité du revenu de retraite, mais il constitue une base de capitalisation importante susceptible d’être mobilisée par les circuits de financement de l’économie.
• Des régimes sectoriels ont également été davantage développés au Québec en lien avec les régimes de relations du travail. C’est le cas notamment du RREGOP pour les employés du secteur public et parapublic, du Régime supplémentaire de rente pour les employés de l’industrie de la construction, du Régime de retraite du personnel des centres de la petite enfance (CPE) et des garderies privées conventionnées du Québec. La participation à ces régimes est obligatoire, mais couvre la très grande majorité des emplois et des employeurs du secteur. Le régime de retraite n’entre donc pas en contradiction avec la mobilité professionnelle et permet d’améliorer la qualité des emplois de manière collective sans mettre les employeurs ou les employés en concurrence.
Quel avenir pour le système de revenus de retraite ?
Comme on peut le constater, les particularités du modèle québécois de retraite reposent, d’une manière générale, sur une intervention relativement importante de l’État, d’une forte implication collective dans la gestion ainsi qu’une préoccupation aiguë du contrôle de l’épargne pour le développement économique du Québec. Cela dit, plusieurs aspects du modèle québécois de la retraite demeurent méconnus et surtout peu reconnus. Cela pose un réel problème lorsque des réformes structurelles sont envisagées, puisque l’on risque alors d’appliquer un « traitement » sur un « autre patient », avec le risque de provoquer de nouveaux problèmes que l’on n’avait pas envisagés au départ.