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Le RÉER et ses cotisants : de quoi et de qui parle-t-on ?

Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite Chaque année, au mois de février, les conseillers financiers s’affairent à solliciter les cotisations de leurs clients dans des Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REÉR). Cette « saison des REÉR » est un moment fort des campagnes publicitaires annuelles mises de l’avant par des organisations financières visant à promouvoir les produits financiers. L’un des atouts de ces produits est que les cotisants peuvent bénéficier de déductions fiscales en y cotisant, en plus de faire croître un actif financier à l’abri de l’impôt jusqu’au moment de la retraite. Cela dit, au-delà des aspects promotionnels, que sait-on sur ces régimes et leurs cotisants ? Connaît-on suffisamment la portée réelle et l’efficacité de ces produits vis-à-vis de la retraite ? La présente chronique est la première d’une série de deux visant à faire un survol des connaissances disponibles sur ces régimes, sur leur bassin de cotisants, ainsi que sur leur place au sein du système de retraite au Québec. Un bref historique du régime L’histoire des REÉR commence en 1957 alors qu’une modification à la Loi fédérale de l’impôt sur le revenu a permis aux travailleurs autonomes, notamment les médecins[1], de faire des dépôts afin de bénéficier des avantages fiscaux consentis aux cotisants de régimes d’employeurs et de disposer d’un revenu de retraite. L’objectif était alors de développer une formule d’épargne individuelle pour une catégorie spécifique de travailleurs, celle ne disposant pas régime complémentaire. Mais l’évolution du contexte institutionnel au Québec et au Canada mène à un élargissement significatif du programme, qui est étendu à l’ensemble de la population en 1970. Une série de mesures sont progressivement mises de l’avant afin de rendre ce produit d’épargne plus attrayant. Ainsi, en 1992, il est permis d’utiliser le REÉR afin d’acquérir une propriété grâce au Régime d’accession à la propriété (RPA) et, en 1999, le Régime d’encouragement à l’éducation permanente (REÉP) est créé, autorisant les retraits pour des raisons de formation ou d’éducation[2]. Contrairement aux régimes d’employeurs, les sommes investies dans les REÉR ne sont pas nécessairement immobilisées en vue de la retraite. Elles peuvent être retirées en tout temps, mais celles-ci s’ajoutent au revenu imposable du particulier. Des régimes populaires En 1968, soit la première année où des données sur le nombre de cotisants au régime sont disponibles, seul un déclarant sur 50 (172 000 personnes) a indiqué cotiser à un REÉR[3]. En 2015, près de six millions de personnes au Canada cotisaient soit à un REÉR individuel ou collectif, soit à un Régime de pension agréé collectif (RPAC), pour un total d’environ 39 milliards de dollars. En comparaison, environ 1,5 million de Québécois cotisaient la même année pour un montant total d’environ 9,4 milliards de dollars[4]. Les REÉR collectifs, ces REÉR individuels regroupés au sein d’un collectif d’employés, comprenaient environ 515 000 participants actifs en 2010[5]. Les statistiques fiscales du Québec nous apprennent, quant à elles, que les Québécois ont demandé quelque 7,8 milliards de dollars de déductions fiscales en 2014 pour des cotisations à un REÉR individuel ou collectif, un RPAC ou un Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER)[6]. Les déductions fiscales pour l’ensemble des régimes de retraite, incluant les régimes de pension agréés, comptaient en 2014 pour 38,7 % de toutes les déductions demandées par les particuliers québécois. Afin de calculer l’ensemble des dépenses fiscales consacrées à la retraite (régimes d’employeurs et REÉR), la déduction des cotisations, la non-imposition du revenu de placement et l’imposition des retraits (incluant les pensions) des deux ordres de gouvernement doivent être prises en compte. La somme des trois composantes constitue la valeur fiscale nette de l’ensemble de ces mesures. Le tableau suivant nous offre une vision d’ensemble pour les années 2006 à 2009 et montre le poids important des dispositifs fiscaux actuels dans le budget de l’État québécois et dans l’économie en général. Tableau 1
Source : RRQ, Constats et enjeux, 2010
L’un des facteurs contribuant à la popularité des REÉR est, sans contredit, l’absence d’autres sources de revenus de retraite pour 22,5 % de la population active. Par exemple, en 2008, environ 942 000 travailleurs n’avaient que le REÉR pour fournir des revenus de retraite en dehors des régimes publics, tandis qu’environ 1,6 million de personnes ne participaient à aucun régime complémentaire de retraite[1]. La situation était sensiblement la même en 2014, où 21 % de la main-d’œuvre ne cotisaient qu’à un REÉR[2]. Plusieurs autres facteurs ont contribué à l’attrait des REÉR dans les dernières décennies comme :
  • la diminution en matière de quantité et de qualité des régimes d’employeurs ;
  • l’augmentation des revenus des baby-boomers durant les années 1980-1990 ;
  • une participation accrue des femmes sur le marché du travail ;
  • une population plus sensibilisée à la nécessité d’épargner pour la retraite ;
  • un désir accru de maximiser l’utilisation des abris fiscaux ;
  • l’effet des campagnes de publicité annuelles des institutions financières ;
  • les augmentations périodiques du niveau maximum de cotisation admissible par les gouvernements[3].
Puisque plusieurs de ces facteurs sont toujours d’actualité, les REÉR devraient présenter un attrait pour les décennies à venir, et ce, malgré l’introduction des CÉLI en 2009 ainsi que la bonification du RRQ annoncée dernièrement par le gouvernement du Québec. La figure suivante montre l’augmentation de la part de l’actif des REÉR dans l’ensemble des types de régimes d’épargne-retraite. Graphique 1
Source : RRQ, Portrait du marché de la retraite au Québec, 2010
Qui cotise aux REÉR ? Des différences notables quant aux cotisations sont présentes en fonction de l’âge des cotisants. Étant à la fois au faîte de leur carrière et devant l’arrivée proche de la retraite, ce sont les personnes entre 55 et 64 ans qui cotisent le plus aux REÉR en constituant 33 % de l’ensemble des cotisations réalisées au Québec[1]. À cet âge, compte tenu des faibles taux de rendement espérés des portefeuilles conservateurs, les déductions d’impôts sont les principaux incitatifs à cotiser aux REÉR. Plus le revenu est élevé, plus la capacité d’épargner et les avantages à le faire par le REÉR sont importants. Comme le montre la figure suivante, les personnes ayant un revenu plus élevé que 80 000 $ comptent pour 27 % du nombre de cotisants, et leurs épargnes représentent 58 % des cotisations. Par ailleurs, les personnes gagnant entre 40 000 et 59 999 $ comptent pour 30 % des cotisants et pour 17 % du total des cotisations. Le revenu d’emploi médian des cotisants à un REÉR était de 53 750 $ en 2015, soit beaucoup plus que la médiane, qui était de 30 900 $ pour la même année[2]. Cette situation s’explique parce que les personnes plus fortunées ont davantage de moyens financiers, mais aussi parce que les incitatifs fiscaux sont plus grands pour elles. En effet, puisque les déductions d’impôts réduisent le montant de revenu imposable que les particuliers doivent payer, plus le revenu d’une personne est compris dans les paliers d’imposition supérieurs, plus l’économie d’impôts est importante. De ce point de vue, l’utilisation de la déduction d’impôt comme outil de politique publique afin d’augmenter l’épargne-retraite est donc très inégalitaire, car elle favorise les personnes avec un revenu relativement élevé. Graphique 2
Source : Tableau CANSIM 111-0039
Contrairement aux REÉR ordinaires, les REÉR de fonds de travailleurs ne sont pas majoritairement accaparés par les particuliers avec un très haut revenu. En effet, près de 78 % du montant total des crédits d’impôt relatifs à un fonds de travailleurs sont utilisés par des contribuables ayant un revenu total situé entre 35 000 $ et 100 000 $[1]. Le montant total des actions acquises d’un fonds de travailleurs pouvant être pris en considération par les particuliers pour calculer le crédit d’impôt ne peut pas dépasser 5 000 $. Puisque ce plafond est beaucoup plus bas que le plafond de cotisation pour les REÉR ordinaires, cela contribue à diminuer le montant total investi par les mieux nantis dans ce type de produit financier. Graphique 3 De plus, soulignons que le crédit d’impôt relatif à un fonds de travailleurs est demandé par beaucoup moins de contribuables (284 000 en 2014) que la déduction d’impôt pour REÉR, RPAC ou RVER (1 549 000 en 2014)[1]. Comment expliquer cet écart alors que les fonds de travailleurs publicisent beaucoup leurs produits ? Serait-ce parce que les institutions financières sont réticentes à offrir à leur clientèle des produits financiers accessibles hors de leur organisation ? Conclusion D’une manière générale, l’instrument de politique publique utilisé (les déductions d’impôts) et les plafonds maximaux de cotisation favorisent les personnes à revenus élevés. En effet, rares sont celles et ceux qui ont la latitude financière pour mettre plusieurs milliers de dollars annuellement dans leur REÉR à la hauteur de, par exemple, 24 930 $ (plafond de 2015), même en incluant des cotisations à un régime d’employeur. En 2015, la cotisation médiane aux REÉR était de 2 650 $. Même chez les 414 000 cotisants québécois gagnant plus de 80 000 $ annuellement, les cotisations moyennes étaient d’environ 13 160 $ en 2015, largement sous le plafond annuel permis[2]. Entre ce qui est réellement cotisé et ce qui peut l’être, il y a donc une énorme marge. En regard des inégalités importantes quant aux cotisations faites aux REÉR, il y aurait lieu de se demander si le plafond permis n’est pas trop élevé, ou si les déductions d’impôts sont le meilleur instrument de politique publique pour améliorer l’épargne individuelle de tous les citoyens. En effet, environ 42 % des Canadiens disent ne pas disposer d’assez d’argent pour cotiser à un régime d’épargne-retraite[3]. Puisqu’il est indispensable que tous épargnent pour leurs vieux jours, on peut se demander si les incitatifs fiscaux sont adéquats, sachant qu’ils favorisent surtout une certaine portion de la population : les particuliers ayant un revenu élevé.
[1] Statistiques fiscales des particuliers : année d’imposition 2014 [2] Tableau CANSIM 111-0039 [3] https://nouvelles.bmo.com/index.php?s=2429&item=130460 [1] Zorn, F. « Crédit d’impôt relatif aux fonds de travailleurs : qui en profite ? », Note d’intervention de l’IRÉC, Numéro 40, février 2015 [1] Tableau CANSIM 111-0039 [2] Tableaux CANSIM 206-0053 et 111-0039 [1] Régie des rentes du Québec, Portrait du marché de la retraite au Québec, 2010 [2] L’Italien, F. et F. Hanin, « Les régimes complémentaires de retraite : un bilan à dresser, une architecture à repenser », Bulletin de la retraite, n.20, mars 2017 [3] http://www.conseiller.ca/nouvelles/le-reer-a-60-ans-61337 [1] https://mdm.ca/fr/au-sujet-de-md/qui-nous-sommes/notre-histoire [2] http://www.conseiller.ca/nouvelles/le-reer-a-60-ans-61337 [3] http://www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/1990004/121-fra.pdf [4] Tableau CANSIM 111-0039 [5] Régie des rentes du Québec, Portrait du marché de la retraite au Québec, 2010 [6] Statistiques fiscales des particuliers : année d’imposition 2014