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Le Sommet sur la retraite : une étape importante pour le dialogue social au Québec

Le Sommet sur la retraite : une étape importante pour le dialogue social au Québec

Par Louis-Philippe Sauvé, IREC et Observatoire de la retraite


Le Bulletin de la retraite

No 54 — 2022

Le Sommet sur la retraite : une étape importante pour le dialogue social au Québec

Élever la retraite au rang de question de société, allant bien au-delà de la planification financière individuelle et de l’achat de produits d’épargne-retraite : telle est l’ambition de l’Observatoire de la retraite et de ses partenaires. Cette ambition est d’autant plus justifiée que de plus en plus d’enjeux d’envergure relatifs à la retraite et au vieillissement de la population – transition travail-retraite, accès aux régimes d’employeurs, âge de la retraite, pénurie et rareté de main-d’œuvre, précarité financière des aînés, etc. – se combinent et mettent à l’épreuve la capacité de réponse de l’État et de la société. Afin de renouer avec le réflexe d’aborder ces différents enjeux d’un seul tenant, l’Observatoire de la retraite et ses partenaires ont tenu en octobre dernier un premier Sommet sur la retraite. Le présent Bulletin revient sur les grandes lignes de cet événement, dont la proposition de mettre sur pied un Conseil des partenaires de la retraite.

Bonne lecture !

Actualités

  • Le projet de loi C-228, déposé par le Parti conservateur du Canada, a franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes. Il doit maintenant être soumis au Sénat. Ce projet de loi prévoit que les retraités deviendraient des créanciers prioritaires et seraient payés avant les banques dans le cas où l’entreprise ferait faillite et laisserait un régime à prestations déterminées en situation d’insolvabilité. Résultat d’un compromis entre les trois partis d’opposition à Ottawa, cette initiative est surtout l’aboutissement d’un long travail de sensibilisation et de concertation mené par plusieurs acteurs et députés. L’une des plus acharnées est sans conteste Marilène Gill, députée fédérale de Manicouagan sur la Côte-Nord, qui fait sienne cette cause depuis plusieurs années.
  • https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/44-1/c-228


  • L’Observatoire de la retraite et ses partenaires ont tenu un Sommet sur la retraite le 12 octobre dernier à Boucherville. Sur le thème « La retraite en 2040 : Agir maintenant pour la retraite de demain », cet événement a été l’occasion de réfléchir à des enjeux fondamentaux de la retraite de demain. Les participants ont majoritairement été en accord avec la proposition de la création d’un organisme indépendant regroupant des associations d’employeurs, de travailleurs et de retraités. Le Conseil des partenaires de la retraite aurait pour mission de conduire des études sur la retraite et le vieillissement de la population, ainsi que de conseiller le gouvernement, l’Assemblée nationale et la société québécoise sur ces enjeux.
  • https://observatoireretraite.ca/sommet2022
Me François Lamoureux
Salle, Sommet sur la retraite
Me Simon Telles, Force Jeunesse
M. Charles Provost
À L'animation, Annick Kwetcheu Gamo
Salle, au loin, Sommet sur la retraite
Période de micro ouvert
François L'Italien, Coordonnateur de l'Observatoire de la retraite


Mobilisations


  • L’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP) dénonce l’inaction du gouvernement fédéral en matière de soutien financier pour les personnes aînées. Dans l’Énoncé économique de l’automne publié le 3 novembre 2022 par la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, il n’y a aucune mesure annoncée indiquant l'indexation de la Sécurité de la vieillesse en fonction de l’inflation. De plus, aucun incitatif fiscal n’a été ciblé pour retenir les travailleurs d’expérience sur le marché de l’emploi.
  • https://www.aqrp.ca/documentation/communiques-de-presse/2022/11/laqrp-denonce-linaction-du-gouvernement-federal-envers-les-aines
  • Le Réseau FADOQ encourage tous les locataires de résidences privées pour aînés (RPA) ayant été lésés lors de la pandémie en ayant payé pour des loisirs et d’autres services n’ayant pas été rendus à soumettre une demande de remboursement au Tribunal administratif du logement (TAL ; anciennement la Régie du logement). Il est maintenant possible pour les locataires de RPA d’effectuer une demande conjointe auprès du TAL afin d’être compensé pour des services non rendus. Le juge administratif Philippe Morisset a récemment tranché en faveur des locataires d’une résidence, ce qui créera une jurisprudence pour d’autres groupes de locataires de RPA.
  • https://www.fadoq.ca/quebec-et-chaudiere-appalaches/actualites/nouvelle/rpa-remboursement-services-loisirs-locataires

Le savant et la politique

La retraite au Sommet du dialogue social

Par Louis-Philippe Sauvé, IREC et Observatoire de la retraite

Qui a dit que la retraite n’était pas un enjeu de société ? Certainement pas l’Observatoire de la retraite qui organisait il y a quelques semaines le premier Sommet sur la retraite au Québec, où un nombre impressionnant (230) de personnes de tout âge se sont réunies pour écouter des exposés captivants à propos d’un sujet pourtant réputé ennuyant.

Dans son allocution d’ouverture, le coordonnateur de l’Observatoire a d’ailleurs invité l’auditoire à « repartir la machine » à idées et à propositions ambitieuses sur la retraite. Rappelant que les enjeux de la retraite sont d’abord des questions de politiques publiques, François L’Italien a mis l’accent sur le fait qu’il s’agissait d’un sujet trop important pour être laissé aux seuls experts. Selon lui, il faut relancer le dialogue social sur la retraite et sortir des ornières des discours moralisateurs sur l’épargne individuelle, des intérêts particuliers et du fatalisme. Retour sur une journée stimulante.

Un Québec en mutation

Pour le président du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM), Me François Lamoureux, il est essentiel d’entamer une réflexion collective, car « le statu quo pour nos aînés n’est plus une option ». Pour lui, les changements qui surviennent dans le monde du travail nécessitent non seulement une plus grande concertation au sein de la société, mais aussi une meilleure prise en compte de la réalité des aînés, laquelle doit être au cœur des préoccupations de chaque ministère. À titre d’exemple de ces transformations du monde du travail, Lucie Lamarche, professeure en droit à l’UQAM, a fait valoir que l’emploi atypique représente désormais 36,9 % de la population active. Le cumul des emplois, les boulots instables et le travail autonome sont des réalités de plus en plus courantes, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la qualité de vie des futurs retraités, les travailleurs d’aujourd’hui.

Et il y a urgence d’agir. Non seulement parce qu’en raison de l’allongement de l’espérance de vie, le vieillissement de la population va se poursuivre jusqu’en 2060 comme l’a montré Yves Carrière dans sa présentation — réfutant l’idée reçue selon laquelle le vieillissement de la population est principalement causé par les baby-boomers —, mais aussi parce que les 65 ans et plus constitueront à terme entre 25 et 28 % de la population (ils représentaient environ 21 % de la population québécoise en 2021). Or, si le taux de remplacement du revenu des retraités est insuffisant, ce sera une part importante de nos aînés qui seront confrontés à l’indigence. De plus, cela risque de poser un problème économique important si, privée d’un revenu suffisant en raison d’un système de retraite inadéquat, une proportion croissante de la population doit réduire son niveau de vie.

Le droit à une vie digne

De quoi est-il question lorsqu’on parle d’indexation des rentes et, plus généralement, des politiques publiques sur la retraite ? S’agit-il seulement d’une question d’argent ? Pour Lucie Lamarche, il s’agit de plus que cela. Ce qui est en jeu, c’est véritablement le droit à une vie digne, le droit à un niveau de vie suffisant qui n’est pas « un droit de ne pas être pauvre », explique-t-elle. Si l’État est le premier répondant de ce droit, la juriste croit que les employeurs ont également une obligation vis-à-vis du respect du droit à la retraite. Or, comme le déplorait Serge Dupont du Fonds de solidarité FTQ, les employeurs n’ont eu de cesse de se désengager de la retraite au cours des dernières années. Seulement entre 2014 et 2020, on a observé une diminution de 16 % du nombre de régimes de pension agréés a-t-il souligné.

Pour renforcer le droit à une vie digne, ce que Lucie Lamarche propose en fin de compte pour la retraite, ce n’est rien de moins qu’une petite révolution paradigmatique. Elle oppose une approche des droits de la personne mettant de l’avant la solidarité et la mutualisation à une vision étroitement financière concevant les régimes de retraite comme de simples fonds d’investissement. Ainsi, un premier pas serait peut-être de modifier la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, pour faire de ces régimes des fiducies d’utilité humaine, avance-t-elle.

Système de retraite et indexation

L’inflation, un enjeu actuel, et la nécessaire indexation des prestations de retraite ont été abondamment discutés. Le directeur général de la FADOQ, Danis Prud’homme, a souligné que les futures générations de retraités auront sensiblement le même taux de remplacement du revenu provenant des régimes publics à cause de la méthode d’indexation du programme de la Sécurité de la vieillesse. Celle-ci augmente moins rapidement que les salaires. Étant donné que la vie s’allonge, il est nécessaire de mieux indexer les régimes de retraite publics. En supposant une inflation d’entre 1 % et 3 %, le pouvoir d’achat d’une personne retraitée diminuera d’environ 50 % sur une période de trente ans, une durée tout à fait normale pour la retraite grâce à une meilleure espérance de vie, croit-il. Déjà, selon Danis Prud’homme, 21 % des 65 ans et plus gagnent moins de 20 000 $ par an.

Pour Sébastien Routhier et Charles Provost, respectivement actuaires à la CSN et chez SAI, l’indexation des régimes complémentaires a nécessairement un coût qui doit être pris en compte dès l’instauration du régime. L’indexation des rentes en fonction de l’Indice des prix à la consommation (IPC) n’est toutefois possible que lorsque les régimes de retraite s’organisent en conséquence.

Un Conseil de partenaires pour agir dès maintenant

À la fin de la journée, un consensus s’est dessiné sur la nécessité d’accorder à la retraite tout le sérieux qu’elle mérite. Confronté à des défis inédits, le Québec doit adopter des solutions inédites. Pour affronter ce nécessaire changement, il est impératif qu’il se dote d’un instrument institutionnel pour enrichir le débat public sur la retraite. Et cet instrument, c’est un forum permanent pour que l’ensemble des acteurs de la retraite puissent avoir voix au chapitre a affirmé en substance Robert Laplante, directeur général de l’IRÉC, lors de son allocution de clôture.

Est-ce à dire que la prise en compte de la réalité des aînés devrait nécessairement écarter les jeunes ? Que nenni ! Le président de Force Jeunesse, Simon Telles, a de son côté plaidé pour une plus grande implication de la jeunesse au sein des instances du monde de la retraite. Car à l’heure où la mobilité sociale semble se faire chancelante, la retraite est un enjeu qui touche toute la population. Il est essentiel d’intéresser davantage la jeunesse aux enjeux de la retraite et surtout à l’épargne-retraite.

Plusieurs participantes et participants du Sommet croient que la solution pour institutionnaliser le nécessaire dialogue social sur la retraite serait la création d’un Conseil des partenaires de la retraite, une instance qui permettrait d’être visionnaire en matière de retraite et de vieillesse. L’organisation et les missions d’un tel organisme figuraient dans un document préparé en prévision du Sommet[1]. Cette proposition a rallié une très forte proportion des participantes et participants. Pour eux, le Québec est mûr pour un tel Conseil.

Les arguments invoqués sont les suivants : cette institution disposerait d’un budget lui permettant de faire des études et des analyses visant à mieux conseiller le gouvernement, l’Assemblée nationale et la société québécoise en matière de retraite. L’égalité homme/femme, la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées, l’âge de la retraite, la sécurité et le niveau des rentes sont des questions nécessitant une étude plus approfondie. Pour paraphraser encore Robert Laplante : si « l’intelligence est une fonction collective » et que « la construction du Québec n’est pas terminée », il ne tient qu’à nous de concrétiser le fait que « ce n’est pas vrai que le vieillissement démographique est synonyme de déclin ».

Veille internationale

Australie

L’organisme COTA, qui défend les conditions de vie des aînés, accueille favorablement le dernier budget déposé par le gouvernement australien. Ce budget prévoit l’institution d’un inspecteur indépendant sur les soins aux aînés, l’augmentation du temps et de la disponibilité des soins aux aînés dans les soins à domicile et un plafond de frais administratifs pour les résidences privées pour les aînés.

https://www.cota.org.au/news-items/home-care-pricing-caps-a-win-for-older-australians-cota-australia/

https://www.cota.org.au/news-items/cotas-view-on-the-federal-budget/


Canada

L’inflation des derniers mois a eu des impacts sur l’épargne et le niveau d’endettement des Canadiens. Selon un sondage de la Banque de Montréal, 22 % des Canadiens ont réduit leurs cotisations d’épargne pour la retraite. Également, le contexte inflationniste a forcé les Canadiens à avoir davantage recours à l’endettement et à l’usage du crédit. Cette situation provoque aussi l’augmentation des faillites personnelles chez les 65 ans et plus.

https://nouvelles.bmo.com/2022-09-20-Sondage-de-BMO-Linflation-a-incite-le-tiers-des-Canadiens-a-reduire-leurs-cotisations-depargne

https://www.journaldequebec.com/2022/11/08/linflation-force-les-aines-a-sendetter-a-outrance


Danemark

L’organisme de recherche Pension Research Centre a produit un ouvrage sur le système de pension du Danemark. Le livre traite des liens entre les régimes publics et les régimes privés, de la façon dont le régime public s’est adapté afin d’assurer sa pérennité dans un contexte de vieillissement de la population et des enjeux vécus par les régimes de retraite dans un contexte de faibles taux d’intérêt et de vieillissement de la population.

https://global.oup.com/academic/product/the-danish-pension-system-9780198867425?cc=gb&lang=en&


France

La réforme des retraites entamée avant la pandémie n’est pas morte. En effet, Olivier Dussopt, le ministre du travail responsable de la Réforme des retraites a convié des associations patronales et syndicales afin de mettre en place un calendrier thématique. Il sera notamment question de compenser le passage de l’âge de la retraite de 62 ans à 65 ans. Le ministre est décidé à faire adopter un projet de loi avant la fin de l’hiver 2023.

https://www.retraite.com/reforme-retraite/


[1] Observatoire de la retraite, Le dialogue social et la retraite au Québec : des constat et une propostion. Document d’information, Sommet sur la retraite 2022, 15 p. Repéré à : https://observatoire-retraite.s3.ca-central-1.amazonaws.com/site/documents/Sommet4-Dialogue_VF_2022-11-14-192433_geuw.pdf