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Les femmes et les régimes de retraite publics

Ruth Rose, Professeure associée, Département des sciences économiques, UQAM

Les femmes à la retraite ont toujours des revenus inférieurs de plus de 40% à ceux des hommes, comme l’illustre le tableau ci-dessous. Davantage que les hommes, les femmes doivent compter sur les régimes publics, notamment la Pension de la sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. En effet, en 2012, 51% des femmes, comparativement à 41% des hommes, sont suffisamment pauvres pour recevoir le supplément.

Tableau1_savant

Au chapitre des Régimes de rentes du Québec et de pensions du Canada (RRQ/RPC), les femmes ne reçoivent que 72% du montant dont bénéficient les hommes. Toutefois, dans le cas des régimes privés, l’épargne bénéficiant d’avantages fiscaux (REER, FERR, FRV) et les revenus de patrimoine, les femmes reçoivent moitié moins que les hommes.

Évidemment, les revenus inférieurs à la retraite reflètent les revenus de travail moindres des femmes pendant toute leur vie. Les femmes sont de plus en plus actives sur le marché du travail et les jeunes femmes sont plus scolarisées que les hommes. Néanmoins, en 2011, les gains annuels moyens des Québécoises ne représentaient que 71,5% ceux des Québécois[1] et, cela, sans compter que davantage de femmes que d’hommes n’ont aucun gain. Au niveau du salaire horaire, l’écart était de 10,5% en 2014.[2]

Les hommes sont aussi plus susceptibles de continuer à travailler après 65 ans et leurs gains représentent 15% de leurs revenus totaux comparativement à 6% pour les femmes. Effectivement, plusieurs femmes préfèrent prendre leur retraite en même temps que leur conjoint plus âgé ; d’autres se retirent du marché hâtivement afin de s’occuper d’un conjoint ou des parents malades.

Les avantages des régimes publics pour les femmes

Les femmes travaillent moins d’heures par semaine que les hommes et s’absentent plus fréquemment du marché du travail parce qu’elles continuent d’assumer la plus grande part des responsabilités familiales. De plus, elles sont encore victimes de discrimination salariale justifiée par des mythes enracinés tels « les femmes n’ont pas besoin de revenu puisqu’elles peuvent compter sur un homme » ou « élever des enfants et s’occuper d’un ménage n’exigent pas de qualifications ; donc les femmes n’ont pas d’aptitudes pour les travaux les plus difficiles ».

À la retraite, cinq types de mesures offrent une certaine compensation pour le travail non rémunéré des femmes.

En premier, un tableau unisexe dans l’établissement de la rente RRQ/RPC ou une pension d’un régime à prestations déterminées compense la plus grande longévité des femmes : pour un même niveau de cotisation, les femmes retirent davantage que les hommes en moyenne. Dans le cas des régimes à cotisation déterminée ou l’épargne individuelle, les femmes doivent se débrouiller pendant plus longtemps avec un montant d’argent moindre.

En deuxième, le RRQ/RPC offre une rente de conjoint survivant financée par l’ensemble des cotisants. Les régimes complémentaires à prestations déterminées doivent aussi, obligatoirement, offrir une rente de conjoint survivant dont le coût, sauf exception, est financé par le cotisant qui reçoit une pension moindre de son vivant. Dans le cas d’un régime à cotisation déterminée, le cotisant peut acheter une annuité viagère avec rente au conjoint survivant ou transférer les montants dans un CRI ou un FRV dont le solde va au conjoint survivant. Dans le cas d’un REER ou un FERR, ce n’est même pas obligatoire de laisser le solde au conjoint.

Constatons que les rentes de conjoint survivant récompensent le fait d’avoir vécu en couple plutôt que le travail socialement utile que constituent les soins aux enfants ou à des adultes invalides ou malades. Les mères monoparentales, pour lesquelles la présence d’enfants a eu le plus de conséquences financières négatives, ne sont pas admissibles aux rentes de conjoint survivant, ni aux Allocations de survivant ou de conjoint du gouvernement fédéral. Dans beaucoup de cas, ce n’est même pas la femme qui a élevé les enfants d’un cotisant qui bénéficie de la rente de conjoint survivant.

La troisième mesure, celle qui vise réellement le travail non rémunéré, est la possibilité d’exclure, dans le calcul de la rente RRQ/RPC, les années à faible cotisation où une femme (exceptionnellement un homme) avait la charge d’un enfant de moins de 7 ans. Cette mesure, aussi, est financée par l’ensemble des contribuables mais sa valeur dépend du montant qu’à cotisé la femme pendant les années où elle a eu un revenu d’emploi.

La possibilité de maintenir le versement des cotisations à un régime complémentaire lors d’un congé de maternité ou parental est une autre mesure qui limite la pénalité subie par une femme en raison de la présence des enfants.

Finalement, le partage de tous les actifs de pension accumulés pendant un mariage (ou une union civile) lors d’un divorce ou une séparation légale représente une reconnaissance de l’égalité des conjoints à l’intérieur du couple. Toutefois, dans le cas d’une union de fait, les actifs sont partagés seulement par consentement mutuel. Dans beaucoup de cas, les femmes renoncent au partage en échange d’autres actifs plus immédiats, d’autant plus que lorsque la pension est basée sur le salaire de fin de carrière, les crédits ont plus de valeur pour le cotisant que pour le conjoint.

Conclusion

En 2012, parmi les travailleurs rémunérés, 45% des femmes, comparativement à 40% des hommes, bénéficient d’un régime complémentaire de retraite, un avantage pour les femmes en raison de leur plus forte présence dans le secteur public. Toutefois, pour l’ensemble de la population 18-64 ans, seulement 31% des femmes et 29% des hommes sont couverts.[3] Surtout dans le secteur privé, la couverture des régimes complémentaires est en déclin et plusieurs régimes à prestations déterminées ont été convertis en régimes à cotisation déterminée ou à prestations cible. Les régimes du secteur public sont aussi sous attaque.

Les femmes sont mieux desservies par les régimes publics que par les régimes privés, même si elles ne reçoivent toujours pas autant que les hommes dans le RRQ/RPC. Face à la recrudescence de la pauvreté, particulièrement chez les femmes vivant seules, la seule solution viable est d’améliorer les régimes publics de retraite, notamment le RRQ/RPC et le SRG. Entre autres, il faut revenir sur la décision de hausser l’âge de la retraite pour la PSV et ses compléments de 65 à 67 ans.

Si l’on veut réduire réellement les écarts femmes-hommes à la retraite, il faut aussi améliorer la reconnaissance du travail non-rémunéré socialement utile, par exemple en créant un supplément à la PSV ou en accordant des crédits dans le RRQ/RPC pour les personnes ayant eu la charge d’enfants ou ayant prodigué des soins aux adultes malades.

[1] CANSIM tableau 202-0102. [2] CANSIM tableau 282-0074. [3] RRQ : Régimes complémentaires de retraite – Statistiques de l’année 2012.