Les régimes à prestations cibles : une mauvaise solution aux problèmes des régimes à prestations déterminées
Frédéric Hanin, Université Laval, Directeur scientifique, Observatoire de la retraite
Le régime à prestations cibles est la nouvelle « recommandation » de l’industrie des fonds de pensions pour répondre aux difficultés des régimes à prestations déterminées, autant au niveau fédéral que dans les provinces. Ainsi, pour l’instant, le Québec ne semble pas échapper à la vague comme en témoigne le récent projet de loi 37 sur les régimes interentreprises, déposé à l’Assemblée nationale cet hiver. L’analyse que nous proposons ici n’a pas pour objectif de discuter des aspects techniques de ces régimes, mais davantage des enjeux qu’ils posent pour les participants. Nous reviendrons dans un premier temps sur la définition de ce nouveau type de régime de retraite, pour ensuite se demander dans quelle mesure il répond aux besoins de la société vis-à-vis de la retraite.
Principe et ambition du régime à prestations cibles
Le régime à prestations cibles est généralement considéré comme un modèle de régime de retraite d’employeur qui va remplacer les régimes à prestations déterminées. Ces derniers ont été largement critiqués ces dernières années pour l’augmentation du coût de financement du point de vue des employeurs, qui sont le plus souvent les promoteurs des régimes de retraite complémentaires et qui doivent assurer le financement des déficits. Le régime à prestations cibles « offre » une solution pour ces promoteurs car il implique une baisse des prestations en cas de déficit. Il permet ainsi de revenir de façon automatique sur des prestations promises dans le passé. En fait, il ne promet plus de prestations de façon certaine aux participants, qu’ils soient retraités ou cotisants. La rente de base, calculée généralement en pourcentage du salaire et des années de service ouvrant droit à pension, comme les prestations accessoires (de décès, d’invalidité, au conjoint, de retraite anticipée, etc.) ne sont plus garanties (voir encadré).
Dès lors, qu’est-ce qui est fixé ? La gouvernance du régime sous la forme de politiques de financement du régime (cotisations), de capitalisation (règles de calcul de la santé financière) et de gouvernance (règles de décision). La promesse est donc celle d’une absence d’arbitraire (modifications ad hoc du régime) et de fin des conflits juridiques concernant les excédents et les déficits des régimes à prestations déterminées.
L’ambition du régime à prestations cibles est donc de limiter les risques de déficit par une amélioration de la gestion des risques et des règles de gouvernance en contrepartie d’un abandon de la sécurité des rentes et des droits acquis. C’est un modèle qui a été appliqué dans les années 2000 dans la plupart des organisations du secteur privé (gouvernance financière des entreprises) et des organismes publics (restructurés sous l’égide de la Nouvelle gestion publique) avec les résultats que l’on a connu : une réduction de la part des revenus de la population active (personnes de 15 ans et plus) dans la richesse créée.
Trois enjeux pour les participants et les promoteurs
La mise en œuvre du modèle de régime à prestations cibles implique une intervention législative pour modifier les fondements mêmes des régimes de retraite. Il est donc légitime que les participants puissent prendre connaissance des enjeux et en débattre. Nous nous limiterons ici à soulever trois enjeux du point de vue des participants aux régimes de retraite à prestations déterminées, qui sont les premiers visés par ce changement.
Les changements introduits par les régimes à prestations ciblesLes régimes à prestations cibles ressemblent à première vue à un régime à prestations déterminées et utilisent le même vocabulaire. Certains vont même les présenter comme des régimes qui permettent un partage des risques entre l’employeur, les participants et les retraités. Dans les faits, il n’en est rien puisque l’employeur verse une cotisation fixe et n’est donc pas exposé au risque. Le risque est alors transféré entièrement aux participants actifs et retraités, qui sont pourtant les moins en mesure de supporter un tel risque. Un exemple : si un actuaire détermine qu’un régime à prestations cibles fait face à un déficit de 10% dans un contexte où les cotisations patronales et salariales sont fixes, la seule option consistera alors à réduire les droits des actifs et des retraités de 10%. Comme par enchantement, le déficit disparaît. Un régime à prestations cibles appartient donc davantage à la grande famille des régimes à cotisation déterminée où tout le risque est supporté par les participants. D’ailleurs, une proposition semblable circule au Royaume-Uni, mais sous le nom de «régime à cotisation déterminée collectif», lequel reflète nettement mieux la nature réelle de ce type de régime. Par Michel Lizée, Économiste retraité, Service aux collectivités, UQÀM |
- Les participants actifs, qui sont dans l’immense majorité des cas des personnes syndiquées, vont désormais devoir décider quelle est la valeur d’une promesse de rente conditionnelle à la santé financière du régime d’ici vingt ou trente ans, par rapport à une promesse quasi-certaine de salaire (en l’absence de perte d’emploi) pour les 3 ou 5 prochaines années, qui est enchâssée dans une convention collective. Autant dire que la promesse de rente doit être beaucoup plus élevée que dans un régime à prestations déterminées pour accepter une telle entente et ne pas mobiliser son énergie sur les demandes salariales à court terme et les autres éléments de la rémunération globale.
- Les participants retraités se retrouvent dans une situation très difficile, car ils partagent désormais l’ensemble des risques associés au régime de retraite, sans aucun mécanisme de représentation collective, ni moyen d’améliorer la sécurité des rentes. Dans la plupart des règlementations existantes, la constitution d’une réserve n’est pas obligatoire et, comme les règles de capitalisation conduisent à des cotisations supérieures au coût de service courant, il n’est plus possible de prévoir à l’avance des améliorations à la rente de base ou aux prestations accessoires[1].
- L’employeur et promoteur du régime de retraite est a priori le grand bénéficiaire du régime à prestations cibles. Ce sont désormais les participants qui supportent la totalité des risques financiers en l’absence d’obligations de capitalisation à court terme (de solvabilité), tout en conservant la liberté de sa mise en place et de sa fermeture éventuelle (sans remboursement du déficit passé). Il reste évidemment à déterminer si la participation à ce type de régime va demeurer obligatoire pour les employés[2] et si le législateur n’a pas intérêt à créer plutôt des régimes interentreprises ou même sectoriels à adhésion obligatoire pour les employeurs (même avec des taux de cotisations différents). À quoi bon conserver pour les employeurs les prérogatives du droit d’administration lorsque la cotisation (fixe ou variable) est l’unique responsabilité vis-à-vis du régime de retraite ?
- Le régime à prestations cibles a pour principale vocation de remplacer les régimes à prestations déterminées tels que nous les connaissons et non pas à améliorer la couverture des régimes complémentaires de retraite. Ils s’adressent en priorité à des milieux de travail syndiqués et représente davantage un outil pour les employeurs dans les négociations collectives. De ce point de vue, il s’agit d’une étape supplémentaire dans la restructuration des régimes de retraite, sur le modèle de la Loi 15 dans le secteur municipal. Il ne contribue donc pas à l’amélioration de la couverture des régimes d’employeur pour l’ensemble de la population, mais introduit plutôt un élément supplémentaire de concurrence par le bas vis-à-vis des régimes à prestations déterminées et même de certains régimes à cotisations déterminées lorsqu’ils ont été négociés.
- Le régime à prestations cibles ne contribue pas non plus à l’amélioration du revenu à la retraite. De ce point de vue, l’amélioration des régimes publics universels est un objectif beaucoup plus intéressant pour l’ensemble de la population. L’amélioration du revenu moyen à la retraite par les régimes de retraite est une problématique importante qui vient principalement de la fragmentation des régimes d’employeur, de la précarité de l’emploi, de l’endettement des ménages en l’absence de progression salariale, et des frais financiers associés à la gestion de l’épargne individuelle.