Les régimes de retraite à prestations cibles : menace ou opportunité ?
Par Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite
Le ministre des Finances du Québec a présenté, le 7 octobre dernier, à l’Assemblée nationale, le projet de loi 68 visant la mise sur pied de régimes de retraite à prestations cibles (RRPC) pour employeurs uniques. Pour les défenseurs de la formule, les RRPC sont présentés comme une réponse au désaveu des employeurs envers les régimes à prestations déterminées (PD), ainsi qu’aux critiques émises envers les régimes à cotisations déterminées (CD) quant aux risques et aux coûts supportés par les travailleurs. Pour les opposants aux RRPC, ce type de régime constituerait un recul stratégique sur la question de la retraite. Ce bulletin vise à faire le point sur les enjeux liés à l’introduction de ces régimes. Ainsi, dans un premier temps, les principales caractéristiques de ces régimes seront présentées. Dans un deuxième temps, les positions de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), ainsi que de la Centrale des syndicats nationaux (CSN), qui préconisent des solutions différentes au contexte de la diminution de la couverture des régimes PD, seront résumées.
Qu’est-ce qu’un régime à prestations cibles ?
Les RRPC font leur chemin dans les pays occidentaux depuis déjà plus d’une décennie. Ils ont été introduits au Canada au début des années 2010. Le Nouveau-Brunswick, l’Alberta, la Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique, l’Ontario, la Saskatchewan et le gouvernement fédéral ont soit déposé des projets de loi, soit voté la possibilité d’établir des RRPC au sein de leur juridiction. C’est là qu’ils ont été principalement promus et souhaités par les employeurs. Au Québec, c’est en 2012 que l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi permettant l'établissement de régimes de retraite à prestations cibles dans certaines entreprises du secteur des pâtes et papiers, qui a introduit les RRPC pour certains employeurs uniques. Les régimes soumis sont ceux de Produits Forestiers Résolu et du groupe Papiers White Birch, pour qui la restructuration de leur régime de retraite était vue comme étant indispensable pour éviter la faillite.
Un RRPC est un régime de retraite à cotisations déterminées où un objectif de rente, une rente « cible », est promis aux participant-e-s en fonction des cotisations qui ont été fixées lors de l’établissement du régime. La situation financière du régime détermine si cette cible pourra être atteinte ou non et la modification correspondante des niveaux de rente ou de cotisations. Un peu comme une soupape de sécurité lorsqu’il y a trop de pression, un régime allègera ses difficultés financières en diminuant les rentes ou en augmentant les cotisations, selon ce qui a été déterminé à l’introduction du régime. Cette réalité est bien tangible puisqu’une certaine proportion des régimes de retraite interentreprise, sous le même gabarit que les RRPC, ont eu à réduire les rentes.
Dans le projet de loi 68 présenté par le gouvernement du Québec, les cotisations de redressement dans le cas d’insuffisance des fonds pour atteindre la cible peuvent être versées par les travailleurs ou l’employeur, selon les dispositions du régime. L’objectif de la planification actuarielle est donc de prévoir un niveau de cotisation permettant de verser la rente cible et d’établir les niveaux financiers critiques déclenchant les différentes soupapes de sécurité (hausse des cotisations et diminution des rentes). La figure 1 montre comment des variations à la hausse ou à la baisse des prestations peuvent survenir en fonction de la santé financière du régime.
Le RRPC présente plusieurs caractéristiques des régimes PD et des régimes CD, ce qui fait de lui un régime aisément comparable à ceux déjà existant. Comme dans un régime CD, les cotisations des employeurs sont principalement fixes et les prestations sont variables; les risques reposent principalement sur les épaules des participants. Cependant, comme pour les régimes PD, les RRPC mutualisent le risque de longévité et le risque de placement et calculent le niveau de rente selon une formule préétablie. Le tableau 1 propose une synthèse des caractéristiques des deux grands types de régimes (régimes CD et PD) et du RRPC :
Tableau 1. Fonctionnement et caractéristiques
CD | RRPC | PD | |
Cotisations régulières de l’employeur | Fixes | Fixes | Variables |
Cotisations régulières des participants | Fixes | Fixes | Fixes |
Prestations | Variables et non définies | Variables et définies | Fixes |
Mutualisation du risque d’investissement | Non | Oui | Oui |
Mutualisation du risque de longévité | Non | Oui | Oui |
Réserve | s/o | Oui | Oui |
Source : Gagné, C. (2019). Les régimes de retraite à prestations cibles : caractéristiques et enjeux. Repéré à : http://observatoireretraite.ca/wp-content/uploads/2020/01/Obs_Ret_2019_Prestations_cibles_finale-1.pdf
En somme, les principes et caractéristiques sous-jacents au RRPC ne sont pas nouveaux. Il s’agit d’une combinaison de caractéristiques déjà présentes dans les régimes PD et les régimes CD visant à transférer les risques assumés par les employeurs chez les participant-e-s actifs ou retraités tout en conservant les avantages de la mutualisation des risques. Le projet de loi 68 indique que les participants non actifs, les retraités, seront moins touchés par les mesures de redressement tout comme par l’affectation d’un excédent d’actif. Le législateur semble avoir compris que la stabilité du revenu à la retraite doit être privilégiée si elle ne peut être garantie.
Positions de la FTQ et de la CSN
Avant d’aborder les positions différentes de deux centrales syndicales à l’égard des RRPC, rappelons que ces deux acteurs sociaux incontournables sur la question de la retraite partagent beaucoup de points en commun. En plus de vouloir la pérennité et la stabilité financière des régimes de retraite, autant la CSN que la FTQ militent en faveur des régimes de retraite de qualité, ce qui les fait privilégier les régimes PD aux autres types de régimes. De plus, si les centrales ont participé à un comité technique mis en place par Retraite Québec sur la question des RRPC, leur adhésion à ce comité s’est faite sur l’assurance que la conversion des régimes PD en RRPC serait interdite : aucun travailleur cotisant actuellement à un régime PD ne devrait voir la qualité de son régime diminuer. Il s’agit de positions communes et indiscutables pour ces deux centrales. Cependant, elles ont des positions différentes quant à l’introduction des RRPC pour employeurs uniques au Québec.
La FTQ est contre l’introduction des RRPC à employeurs uniques au Québec. Selon cette centrale syndicale, en plus d’ouvrir la porte à la conversion de régimes PD en RRPC dans une mouture ultérieure d’un projet de loi, l’introduction des RRPC serait inutile dans un contexte où le Régime de retraite par financement salarial (RRFS) permet déjà aux employeurs de réduire leur part du risque dans le versement d’une cotisation fixe. Ce régime, mis en place conjointement par des groupes de travailleurs et Retraite Québec, répond déjà au besoin des employeurs en la matière et a comme avantage sur les RRPC de garantir une rente de base aux retraités, qui n’ont pas à craindre une diminution de leurs rentes. En effet, le principal désir des travailleurs est la sécurité du revenu jusqu’au décès. Des craintes peuvent être soulevées à l’égard de la composition des comités de retraite de ces nouveaux régimes : alors que le risque sera essentiellement absorbé par les participants, il n’est pas certain que ces derniers seront majoritaires dans les comités de retraite des RRPC. Ainsi, la FTQ est opposée à l’introduction des RRPC principalement parce qu’ils comportent plusieurs incertitudes comparativement à une formule testée et approuvée que sont les RRFS.
La CSN, quant à elle, voit d’un bon œil l’implantation des RRPC au Québec. En effet, pour cette centrale, les RRPC constituent un nouvel outil dans le cadre des négociations collectives. Ils permettraient soit de créer un nouveau régime de retraite ou de bonifier un régime CD en mutualisant les risques entre les participants, ce qui augmente la sécurité et le niveau de la rente. Le projet de loi 68, s’il est adopté, permettra aux travailleurs ayant négocié des RRPC de mettre en application ces ententes. De plus, selon cette centrale, il existe des limites à la généralisation des RRFS, un autre régime offrant des cotisations fixes aux employeurs. Les actuaires sont généralement inconfortables avec la très grande réserve de ces régimes servant à financer l’indexation. Selon eux, une très grande réserve accroît le risque d’iniquités entre les cotisants de générations différentes puisqu’il est plus difficile de calculer les droits à pension de chaque individu. De plus, certains milieux de travail privilégieraient une formule plus flexible que le RRFS si elle existait. Ainsi, c’est la volonté d’améliorer le sort des participants à un régime CD en prenant en compte les limites de l’alternative actuelle, le RRFS, qui motive la CSN à vouloir ajouter les RRPC dans le coffre à outil des négociations collectives des syndicats locaux.
Conclusion
Malgré leur introduction dans plusieurs juridictions canadiennes, les RRPC sont loin de faire l’unanimité. En diminuant la sécurité des rentes, ils sont moins avantageux pour les travailleurs que les régimes PD, ce qui leur attire des critiques et une opposition d’une certaine partie du milieu syndical. Toutefois, puisqu’une possibilité d’améliorer les régimes CD en mutualisant les risques existe, une autre partie du milieu syndical est en faveur de leur introduction au Québec. Le dépôt du projet de loi 68 confirme l’importance de bien connaître ces régimes, ainsi que les positions sociopolitiques sur cet enjeu, afin de mieux pouvoir se positionner.