Les rentes et le risque de longévité : un survol des options sur la table
Par Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite
Avec le départ à la retraite d’une importante cohorte de retraités, la question du décaissement de l’épargne accumulée intéressera un auditoire de plus en plus large. De plus, l’importance accrue des régimes à accumulation de capital, comme les régimes à cotisations déterminées, dans le paysage de la retraite augmentera la fréquence de l’achat de rentes ainsi que les risques supportés par les prochaines générations de retraités. Loin d’être une coquetterie technique, la question du décaissement de l’épargne est cruciale : à quoi bon épargner durant la vie active si cet argent est perdu à cause de modalités inadéquates de conversion en revenu de retraite ? Plusieurs enjeux propres à l’épargne individuelle, comme le choix de produits ou les frais de gestion, s’appliquent aussi pour le décaissement des sommes accumulées. De mauvais choix peuvent nuire aux retraités pour le reste de leurs jours.
Ce bulletin aborde la question du décaissement de l’épargne-retraite, en l’envisageant plus spécifiquement sous l’angle du risque dit de longévité, soit le risque de survivre à son épargne et de passer les dernières années de sa vie avec peu de moyens. Des modalités de décaissement déjà accessibles permettent de mitiger ce risque pour les travailleurs, qu’il s’agisse des régimes publics ou des régimes privés. Pourtant, elles sont peu utilisées par les retraités alors que la sécurité financière à la retraite représente ce que les Canadiens et vraisemblablement les Québécois, désirent le plus[1]. Afin de bonifier les modalités de conversion de l’épargne-retraite en revenu de retraite versé jusqu’au décès de l’individu, des propositions ont été apportées concernant à la fois les régimes publics et l’épargne-retraite comprise dans les régimes d’accumulation de capital comme les régimes à cotisations déterminées (CD), les Régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) et les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER).
Risque de longévité et régimes publics
Nous savons que la période de décaissement de l’épargne-retraite peut s’étaler aussi longtemps que la période de son accumulation, voire davantage. Puisque le montant accumulé jusqu’à la retraite génère d’importants rendements, les revenus de retraite dépendent majoritairement (60 %) des rendements obtenus après le départ à la retraite. En effet, seulement 30 % de chaque dollar de revenu de retraite provient des rendements obtenus avant la retraite alors que 10 % proviennent des cotisations initiales du travailleur et/ou de l’employeur[2]. Cela montre bien l’importance de cet enjeu, malheureusement peu traité et compris du grand public.
Les régimes publics permettent de recevoir les premiers versements entre 65 et 70 ans pour la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV) et entre 60 et 70 ans pour le régime des rentes du Québec (RRQ). Ceux-ci peuvent être reçus tout en travaillant et le montant est ajusté selon le temps séparant le premier versement et l’âge donnant droit aux pleines rentes, tel que le montre le tableau suivant.
Afin de parer à une partie du risque de longévité, les régimes publics peuvent être utiles puisqu’ils offrent une rente garantie à vie indexée. De plus, pour les travailleurs ayant gagné un revenu moyen toute leur vie, le taux de remplacement issu des régimes publics pour des rentes demandées à l’âge de 70 ans peut aller jusqu’à 82,4 %, comparativement à 60,9 % si les rentes sont demandées à 65 ans. L’écart entre 65 et 70 ans doit donc ici être comblé par l’épargne personnelle. Ainsi, pour une meilleure protection à la retraite, il est parfois conseillé de considérer le décaissement préalable du capital accumulé dans un régime d’accumulation de capital pour retarder la demande des prestations des régimes publics.
Une autre façon de protéger les retraités contre le risque de longévité par les régimes publics a été formulée par le comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois. L’idée proposée par le rapport d’Amours était de verser un second type de rente à vie par le RRQ à tous les cotisants à partir de l’âge de 75 ans en fonction des années cotisées à ce second type de rentes. Cette rente, dite « rente longévité » obligatoire, financée à parité entre les travailleurs et les employeurs, aurait bénéficié de la mutualisation du risque de longévité et des économies d’échelle afin d’offrir un bon rendement aux cotisants[3]. En somme, les régimes publics peuvent déjà servir à protéger les retraités contre une partie du risque de longévité.
Risque de longévité et régimes d’accumulation de capital
Par ailleurs, les régimes de retraite privés sont aussi directement concernés par la question du risque de longévité. Ainsi, si les régimes à prestations déterminées offrent des rentes pour toute la durée de vie des participants, ce n’est pas le cas pour les régimes à accumulation de capital. L’argent accumulé dans les régimes à accumulation de capital permet aux nouveaux retraités soit de gérer eux-mêmes le décaissement au travers d’un FRV ou d’un FERR ou soit d’acquérir une rente viagère auprès d’un assureur. Cette dernière option est rarement préconisée, malgré ses avantages. Notamment, les nouveaux retraités peuvent craindre de décéder jeunes et de perdre de l’argent, de ne pas pouvoir laisser d’héritage à leurs proches, de devoir rembourser des dettes ou de s’attendre à décéder jeune. La faible popularité des rentes viagères s’explique également par les prix élevés des produits offerts par l’industrie des assurances, le manque de produits offerts ou le manque de confiance envers l’impartialité de leur conseiller financier[4]. Pourtant, sans prendre en compte les taxes et transferts gouvernementaux, la littérature scientifique est unanime pour statuer que la conversion d’une proportion substantielle des actifs en rente améliorerait la situation financière de la plupart des retraités[5].
Afin de pallier ce problème, il a déjà été proposé de créer un programme canadien afin d’offrir aux retraités de 85 ans et plus l’option d’acheter une rente viagère à partir d’un fonds commun, permettant de mutualiser le risque de longévité et de compléter les produits actuellement offerts par l’industrie financière. Ce programme autofinancé géré par le gouvernement fédéral, le Living Income For the Elderly (LIFE), pourrait offrir aux adhérents d’investir le montant de leur choix pour recevoir une rente viagère correspondante au niveau de leur investissement ainsi que des ristournes ou frais ponctuels selon la performance financière du programme. Alors que les rentes viagères font rarement l’objet de publicités de la part des institutions financières, comparativement aux REER, le LIFE pourrait populariser les rentes viagères, conduisant à une meilleure sécurité financière et une plus grande paix d’esprit chez les Canadiens[6].
L’établissement d’un programme national géré par le gouvernement peut également diminuer les coûts par des innovations financières et institutionnelles. Par exemple, Singapour, cité-état d’environ six millions d’âmes, a mis en place en 2009 un programme national versant des rentes viagères aux retraités selon leurs moyens, soit les cotisations réalisées dans la vie active. L’un des avantages du Central Provident Fund Lifelong Income for the Elderly (CPF LIFE) de Singapour est son lien privilégié avec les finances de l’État, ce qui lui permet d’investir dans des obligations gouvernementales spéciales, les Special Singapore Government Securities (SSGS). Les cotisants et bénéficiaires, qu’ils soient à la vie active ou à la retraite, bénéficient ainsi de taux d’intérêt avantageux et garantis. Par exemple, au troisième trimestre de 2019, le taux d’intérêt était de 5 % annuellement[7]. Ainsi, les Singapouriens, entre autres grâce à l’architecture institutionnelle particulière de leur système, bénéficient d’un niveau de rente par dollar investi supérieur à celui observé dans le marché privé et dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni. Cet atout est possible par l’accès privilégié à un produit financier émis par le gouvernement, les SSGS, une meilleure capacité à gérer le risque de longévité de l’ensemble des membres et de plus faibles coûts de gestion par la collectivisation des avoirs et la mutualisation du risque de longévité au travers d’un programme national et obligatoire d’achat de rente viagère[8].
Dernièrement, le budget 2019 du gouvernement canadien a autorisé les régimes CD à offrir une rente viagère dont les montants mensuels peuvent varier selon les rendements et la mortalité du groupe, prémunissant les retraités contre le risque de survivre à leur épargne[9]. D’autres améliorations réglementaires ou institutionnelles visant les régimes CD pourraient améliorer la situation, car de 80 % à 90 % de toute l’épargne-retraite détenue hors des régimes PD sera versée en revenu de retraite par le biais de régimes individuels. Or, il a été estimé que les frais de gestion élevés, les mauvaises décisions et les conseils conflictuels diminueront de 20 % à 30 % les revenus de retraite produits par rapport au recours à des frais institutionnels, des options par défaut et un encadrement fiduciaire[10].
Conclusion
Les efforts pour améliorer le décaissement des rentes afin que les retraités soient assurés de recevoir un revenu de retraite jusqu’à la fin de leurs jours prennent diverses formes et sont appelés à se poursuivre dans l’avenir. L’attrait des rentes viagères est qu’elles offrent la possibilité de mieux planifier les dépenses à être réalisées par les aînés, qui leur permettent de continuer à stimuler la création d’emploi et la croissance économique. Les bénéfices macroéconomiques de la sécurité du revenu des aînés sont bien tangibles[11]. De plus, la dépendance envers les programmes de soutien au revenu ne sert ni les aînés, ni le gouvernement, d’où son intérêt à bonifier les régimes publics et à faciliter l’instauration de rentes viagères par les régimes d’accumulation de capital, qu’ils soient gérés par des entités privées ou gouvernementales.
[1] Baldwin, B. (2017). The Pensions Canadians Want: The Results of a National Survey. Report on a Survey Prepared for the Canadian Public Pension Leadership Council. Repéré à : http://cpplc.ca/research/the-pensions-canadians-want-the-results-of-a-national-survey/
[2] Ezra, D. (2009). The Retirement Plan Solution: The Reinvention of Defined Contribution, Wiley Finance: Collie & Smith.
[3] Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois. (2013). Innover pour pérenniser le système de retraite. Rapport du comité. Repéré à : https://www.rrq.gouv.qc.ca/fr/services/publications/avenir_systeme_retraite/Pages/avenir_systeme_retraite.aspx
[4] MacDonald, B.-J., Jones, B., Morrison, R.J., Brown, R.L., and Hardy, M.
“Research and Reality : A Literature Review on Drawing Down Retirement Financial Savings”. North
American Actuarial Journal, 17(3) (2013) : 181-215
[5] Ibid.
[6] MacDonald, B-J. (2018). Headed for the Poorhouse : How to Ensure Seniors Don’t Run Out of Cash before they Run Out of Time. Repéré à : https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/C.D.%20Howe%20Commenary%20500.pdf
[7] Central Provident Fund Board. (2019). Interest Rates. Repéré à : https://www.cpf.gov.sg/Members/AboutUs/about-us-info/cpf-interest-rates
[8] CPF. (2019). CPF LIFE. Repéré à: https://www.cpf.gov.sg/members
[9] Porado, M. (2019). Industry praises budget proposals to allow variable annuities for CAP members. Repéré à : https://www.benefitscanada.com/news/industry-praises-budget-proposals-allowing-variable-annuities-for-cap-members-127822
[10] L’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite. (2017). Le décaissement, prochaine frontière critique : améliorations aux régimes à cotisations déterminées et autres régimes d’accumulation de capital. Repéré à : https://www.acpm.com/ACPM/media/media/resources/7/media/AGR/Publication_FR/Le-decaissement-prochaine-frontiere-critique-(27-mars-2017).pdf
[11] Lettre de coalition- Assurance longévité. (2018). Amélioration de l’efficacité des options de revenu de retraite pour les Canadiens plus âgés. Repéré à :