Retour sur le projet de loi 3 et la restructuration des régimes de retraite municipaux
Le Bulletin de la retraite
No 61 - 2024
Retour sur le projet de loi 3 et la restructuration des régimes de retraite municipaux
Il y a maintenant presque 10 ans, Le projet de loi 3, qui est devenu la Loi 15, prévoyait une restructure importante des régimes de retraite municipaux. Perçu comme un projet de loi « matraque » par les divers groupes d’employés municipaux, cette saga juridique a récemment pris fin. Abordant autant les principes mis en cause que les conséquences concrètes de la Loi 15, ce bulletin revient sur cette loi qui a généré la plus importante cause jamais entendue au Québec dans le domaine des régimes de retraite.
Actualités
L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a publié un article sur les inégalités sociales et le Régime de rentes du Québec (RRQ). L’auteur, Vincent Chandler, avance que certaines dispositions du RRQ amplifient les inégalités. Il propose certaines modifications comme augmenter le montant de l’exemption générale qui est de 3 500$ et réduire la pénalité qui s’applique aux demandes de rentes faites avant l’âge de 65 ans afin que le RRQ renforce l’égalité entre les cotisants.
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Les actifs des Québécois âgés de 65 ans et plus totalisent 1000 milliards de dollars et une bonne partie est destinée aux transferts à la génération plus jeune. Il s’agirait du plus grand transfert de richesse intergénérationnel de l’histoire du Québec. La génération des baby-boomers, plus nombreux que les générations précédentes, le faible nombre d’enfants par ménage et une hausse importante du prix des maisons et des actifs financiers font partie des explications à donner à ce
phénomène.
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Le Conseil national des aînés a déposé son rapport intitulé «Appuyer le vieillissement à domicile au Canada : Garantir la qualité de vie lorsqu’on vieillit au Canada». Celui-ci propose 20 recommandations pour appuyer le vieillissement à domicile au Canada, notamment l’augmentation du Supplément de revenu garanti et la transformation du crédit canadien pour aidant naturel en une prestation remboursable.
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Mobilisations
Deux pétitions d’intérêts ont été déposées à l’Assemblée nationale du Québec. La première propose la création d’un ministère des Aînés avant la prochaine campagne électorale. La deuxième demande à ce que la Caisse de dépôts et placement du Québec se départisse de ses investissements associés à des violations du droit international. Les pétitions peuvent être complétées sur le site internet de l’Assemblée nationale du Québec.
assnat.qc.ca
Un communiqué conjoint signé par le réseau FADOQ, le Regroupement québécois des résidences pour aînés et le Réseau québécois des OSBL d’habitation demandent au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de cesser d’obliger les résidences pour aînés à fournir des renseignements privés sur leurs résidents, comme le nom, la date de naissance ou le numéro d’appartement. Le MSSS ne fournit aucune explication sur la nécessité de collecter ces informations.
fadoq.ca
L’action collective intentée par les retraités du RRPE chemine. En septembre, un avis aux membres de l’action collective a été émis afin de solliciter des dons pour améliorer le financement des procédures judiciaires. Un historique de cette saga judiciaire et des détails sur les procédures sont disponibles sur le site internet de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP)
aqrp.ca
Le savant et la politique
La Loi 15, déjà 10 ans…mais encore ?
Pierre Bergeron
Associé, Conseiller principal,
PBI Actuaires et conseillers
Il y a maintenant presque 10 ans, un projet de loi spécial (Loi 15 ou Loi favorisant la santé financière et la pérennité
des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (Loi RRSM)) visant la viabilité et la pérennité des régimes de retraite municipaux a été adopté par l’Assemblée nationale. Perçu comme projet de loi « matraque » par les divers groupes d’employés municipaux, il s’ensuivit une pléiade de recours devant les tribunaux. Toute cette saga juridique a récemment pris fin à la suite du refus de la Cour Suprême d’entendre la cause en avril dernier. Un bref retour s’impose sur la plus importante cause jamais entendue au Québec dans le domaine des régimes de retraite.
Le point de départ de cette saga?
Certaines grandes municipalités avaient dans leur mire, depuis 2010, la réduction des coûts de leurs régimes de retraite. Pour y parvenir, elles ont remis en question le concept de droits acquis. Le constat de déficits accumulés frôlant les 5 G$ en 2011 au niveau du seul secteur municipal a également amené le gouvernement à une réflexion dans un contexte où plusieurs mesures d’allégements avaient été accordées aux organismes municipaux au niveau du financement de leur régime au cours des années précédentes. Ces mesures ont contribué à l’augmentation des déficits des régimes de retraite municipaux.
Plusieurs forums de discussions ont été créés afin de favoriser les échanges entre les divers intervenants et spécialistes du secteur dans le but de trouver des solutions aux diverses problématiques. Les discussions initiales ne visaient que les régimes de retraite en difficulté, mais celles-ci ont rapidement dévié sur le fait que tous les régimes municipaux contenaient des promesses trop coûteuses et, par conséquence, que la contribution financière courante des municipalités, la partie employeur, était trop élevée. Des modifications aux règles des droits acquis ont donc été adoptées pour pouvoir réduire les droits accumulés des participants de régimes présentant des déficits (au niveau des retraités, cette réduction de droits était possible seulement au moyen de la suspension partielle ou totale de l’indexation versée par le régime). Pour les participants, d’autres règles ont été mises en place, dont l’obligation de séparer les régimes en deux volets3, l’imposition d’un partage de coût 50 % - 50 % entre membres du personnel et employeurs et l’interdiction de l’indexation automatique. La Loi 15 eu un impact sur tous les régimes de retraite, peu importe leur santé financière ou leur plan de financement déjà en place.
Le débat?
Le débat s’est donc recentré non seulement autour du respect des droits acquis et de la rémunération globale convenue, mais aussi à savoir si les solutions prévues à la Loi 15 contrevenaient aux chartes des droits applicables (particulièrement à la liberté d’association). Soulignons que la Loi 15 traitait distinctement le partage du déficit imputable aux retraités de celui propre aux participants actifs. Le procès devant la Cour supérieure s’est déroulé sur une période d’une année, avec plus de 80 journées d’audience, plus de 6 000 pièces déposées et de nombreux témoignages d’experts en histoire, en économie et en actuariat.
Le point d’arrivée?
La Cour supérieure du Québec a statué (juillet 2020) que seule la suspension de l’indexation de la rente des retraités (ceux au 13 juin 2014, soit au moment du dépôt du projet de loi) est inconstitutionnelle. La Cour d’appel a maintenu les conclusions de ce jugement (mai 2023). La suspension de l’indexation des rentes des retraités était une mesure facultative qui a été utilisée par une quinzaine d’organisme municipaux visant une trentaine de régimes. À la base, les rentes des retraités devront donc être rétablies (avec rétroactivité), et il est possible que d’autres mesures de réparation voient le jour pour donner suite aux représentations des demandeurs devant le juge Moulin, qui est celui ayant entendu la cause originelle en Cour supérieure (par exemple, doit-on calculer l’intérêt sur les sommes dues et à quel niveau).
Qu’est-ce que l’histoire nous a appris sur la santé financière des régimes?
Les actifs des régimes municipaux totalisaient 25 G$ en 2014 et les déficits visés par ceux-ci étaient de l’ordre de 2 à 2,5 G$. Fait à souligner, le quart des 158 régimes ne présentait alors aucun déficit et affichait globalement des excédents de plus de 500 M$. En bout de piste, aucune corrélation n’a été démontrée entre la générosité relative d’un régime, ou encore à savoir si celui-ci incorporait une formule d’indexation automatique, et une situation financière défavorable. Par exemple, le plus
important régime municipal au Québec4 était alors en situation d’excédent, alors que les participants avaient bénéficié de bonifications et que la municipalité avait eu d’importants congés de cotisation. L’analyse granulaire de la santé financière des divers régimes nous amène à conclure que les régimes en mauvaise posture sont plutôt ceux qui n’avaient pas de plan
ordonné de financement de leur objectif-retraite. Ainsi, peu importe la générosité relative d’un régime, c’est le concept de financement inadéquat des objectifs retraite qui explique essentiellement la position financière constatée. Certains régimes qualifiés de « généreux » étaient d’ailleurs en position de surplus malgré toutes les turbulences économiques, financières et démographiques (vieillissement, augmentation de l’espérance de vie) auxquelles ils ont fait face, alors que certains régimes
avec des bénéfices plus limités étaient en position déficitaire. Malgré ces constats, c’est une approche uniforme modifiant le niveau des bénéfices et le partage des coûts de tous les régimes municipaux qui a vu le jour.
Mais après la Loi?
Le contexte législatif a continué d’évoluer, ce qui a permis la mise en place de règles de financement plus sécuritaires et l’adoption de politiques de financement tout en sensibilisant davantage les divers intervenants. Plusieurs régimes ont revu leur objectif retraite dans un contexte d’une plus grande prévisibilité des coûts et d’une meilleure équité intergénérationnelle. Les hausses au niveau des taux d’intérêt et les rendements réalisés par les régimes depuis ce temps ont évidemment contribué à améliorer la santé financière des régimes.
Le contexte économique et financier demeure un défi et les comités de retraite doivent continuer d’exercer une vigilance serrée de leur politique de placement. Étant des investisseurs à long terme (en lien avec les obligations du régime), la diversification demeure de mise.
En revanche, une hausse marquée des coûts d’administration des régimes due à la complexité des règles prévues, des coûts très importants liés au processus de négociation et pour l’implantation initiale ainsi qu’une complexification de la communication avec les participants ont été des conséquences négatives de la Loi 15. Le coût des régimes et la taxation qui en découle demeurent volatils (quoique le partage des coûts en amoindrit l’impact). De plus, plusieurs municipalités qui
avaient mis en place des plans de financement ont dû les revoir afin de tenir compte de la séparation de leur régime en deux volets, un volet pour les années jusqu’en décembre 2013 et un autre volet pour les années 2014 et suivantes. Cela nécessite donc entre autres deux évaluations actuarielles et deux politiques de placement pour un même régime et un seul comité de retraite. Les coûts d’avoir deux volets sont particulièrement élevés pour les petits régimes.
Au niveau des participants, le retour financier sur leur cotisation sera normalement moindre que celui dont a bénéficié la génération précédente dans un contexte d’une hausse de leur cotisation jumelée à des bénéfices révisés à la baisse. L’indexation automatique étant interdite (outre celle versée pour les retraités en date du 13 juin 2014), il sera intéressant de suivre l’évolution de la conception et du financement des régimes en lien avec les besoins des retraités à cet égard. Une indexation ponctuelle peut toujours être versée (à même les éventuels surplus) et même être favorisée par un certain
préfinancement.
Reste à voir si le tout pourra prendre place en ayant l’équité intergénérationnelle comme priorité.
Pour aller plus loin
La restructuration des régimes de retraite municipaux au Québec : Retour sur la Loi 15. Michel Lizée. 2017
Le partage des déficits des caisses de retraite entre les villes et les syndicats reconnu.
Louise Boisvert – Radio-Canada. 11 avril 2024
Régimes de retraite à prestations déterminées au municipal : la cour suprême refuse d’aller plus loin.
Syndicat canadien de la fonction publique. 11 avril 2024
Veille internationale
États-Unis
Environ 6 Américains sur 10 ont davantage peur de partir à la retraite que de mourir ou que de divorcer, selon un sondage. Le manque à gagner financièrement, la perte d’identité, les problèmes de santé, le coût des soins de santé et l’adaptation à une nouvelle routine sont parmi les raisons invoquées pour craindre la retraite.
usatoday.com
Royaume-Uni
La ministre chargée des finances été du Trésor, Rachel Reeves, s’est récemment entretenue avec des régimes de retraite du secteur public canadien afin d’en apprendre davantage sur la recette du succès des grands régimes canadiens surnommés «Mapple 8». Les actifs d’environ 640 milliards de dollars des régimes de retraite du secteur public du Royaume-Uni sont répartis en 86 régimes différents. Les grands régimes de retraite canadiens sont reconnus pour la qualité exceptionnelle de leur gouvernance, les investissements opérés à l’interne et leur exposition à des classes d’actifs générant de meilleurs retours sur l’investissement.
ft.com
Australie
Les employeurs de l’Australie ont l’obligation de cotiser au moins 11,5% du salaire des membres du personnel dans leur programme Superannuation, qui ressemble à nos REÉR. Cependant, une recherche récente montre qu’environ 3 millions d’australiens ne reçoivent pas ces cotisations, pour un montant de 5,1 milliards dollars australiens. Les employeurs doivent verser ces sommes à chaque trimestre, ce qui complexifie leur surveillance par les membres du personnel et l’agence de revenu d’Australie. Certaines améliorations au programme de Superannuation sont envisagées afin d’enrayer ce phénomène, comme obliger les employeurs à verser les montants à chaque paie, établir des objectifs de recouvrement des sommes dues pour l’agence de revenu d’Australie et supporter les démarches entreprises par les membres du personnel afin de recouvrer les sommes dues dans le cas où l’employeur fait faillite.
nationalseniors.com
International
L’Alliance des propriétaires d’actifs ayant des objectifs Net-Zéro des Nations-Unies s’est dotée d’objectifs intermédiaires afin de parvenir à l’objectif que leurs actifs n’émettent plus de gaz à effets de serre. Les organisations souscrivant à cette initiative doivent réduire l’émission des gaz à effets de serre de leurs investissements entre 22% et 32% d’ici 2025 et entre 40% et 60% d’ici 2030. La Caisse de dépôts et placement du Québec fait partie de cette alliance.
unepfi.org