Retour

Un système de retraite pour les prochaines générations

Eloi Lafontaine Beaumier, Porte-parole de Force Jeunesse en matière de retraites

L’article Gérer le risque d’équité intergénérationnelle dans nos régimes de retraite : une façon de préserver un certain niveau de protection sociale? paru dans la dernière édition du Bulletin de la retraite propose une articulation solide et intelligente du principe d’équité intergénérationnelle appliqué aux régimes de retraite. Cette contribution est fort intéressante en ce qu’elle suggère une série d’indicateurs quantifiables et mesurables qui pourraient être formellement enchâssés dans les règles de gouvernance et de suivi des régimes de retraite. De tels indicateurs permettraient de dépasser le stade des débats basés sur la rhétorique et l’anecdotique pour plutôt établir des mécanismes clairs d’imputabilité en matière d’équité intergénérationnelle dans les régimes de retraite. On ne peut que souhaiter ardemment que de tels mécanismes voient le jour rapidement et soient intégrés aux régimes complémentaires de retraite (RCR) et au Régime de rentes du Québec.

Cela ne saurait toutefois être suffisant pour traiter de manière exhaustive la question de l’équité intergénérationnelle dans les régimes de retraite. En effet, pour pleinement embrasser le concept d’équité intergénérationnelle, il faudrait ajouter à l’articulation actuarielle et comptable – bien mise en évidence dans la dernière édition du Bulletin – une composante plus large d’adéquation de l’édifice des politiques publiques en matière de retraites avec l’état du marché du travail et les aspirations des prochaines générations de travailleurs.

Rappelons que les bases du système de retraite dont bénéficient actuellement les Québécois ont été jetées dans les années 1960, avec pour référence les besoins des travailleurs des années 1960 et ceux des futurs travailleurs tels qu’anticipés à cette époque. Ces bases sont restées relativement inchangées depuis. Que veulent les prochaines générations de travailleurs? Accumuler une petite provision d’épargne suffisante pour couvrir leurs dernières années de vie ou engranger une réserve suffisante pour se payer la « Liberté 55 »? Veulent-elles plutôt prendre leur retraite de manière « progressive »? Le concept même de « retraite » serait-il à moderniser?

Il convient également de rappeler que près de 50% des travailleurs québécois ne bénéficient actuellement d’aucune forme d’épargne volontaire collective et que près de 40% ne disposent d’aucune forme d’épargne volontaire, ni collective ni individuelle. Comme le soulignent de nombreux experts, il s’agit là du principal défi auquel est actuellement confronté le système de retraite québécois

Les récents exercices de diagnostic menés – principalement dans le cadre du rapport du Comité d'experts sur l'avenir du système de retraite québécois et de la Commission parlementaire qui en a suivi la publication – n’ont pas manqué de soulever la question de la place des régimes complémentaires de retraite (RCR) par rapport à d’autres instruments d’épargne publics ou privés, des rôles respectifs de ces différents outils et de leur capacité collective à assurer une retraite adéquate aux prochaines générations de travailleurs. Force est de constater qu’à ce jour, le suivi accordé à ces diagnostics s’est essentiellement limité à colmater les vulnérabilités et faiblesses des RCR à prestations déterminées – on passe sciemment sous silence ici l’introduction du régime volontaire d’épargne-retraite, qui est loin d’être une solution complète (ni même sérieuse) aux problèmes identifiés par le Comité et la Commission susmentionnés.

Les améliorations aux RCR à prestations déterminées permettront certes d’en faire des outils d’épargne plus attrayants pour employeurs et travailleurs, mais il est à douter que, sans des efforts supplémentaires, ces améliorations puissent augmenter d’elles-mêmes le déploiement des RCR à prestations déterminées et permettre de hausser le taux d’épargne à la retraite des Québécois. Les améliorations aux RCR à prestations déterminées n’offriront pas non plus de réponse aux nombreux changements qui affectent le marché du travail, deviennent tranquillement la norme pour les nouvelles cohortes de travailleurs et engendrent des besoins et des attentes différentes envers le système de retraite :

  • Une mobilité plus grande des travailleurs. Cela génère le besoin d’un régime qui puisse facilement suivre le travailleur lors d’un changement d’emploi ;
  • Des incitatifs à l’épargne privée beaucoup moins présents – ou du moins plus rares et plus ténus que lors de la naissance de notre système de retraite à trois paliers. On note en particulier une croissance de l’emploi atypique qui rend l’atteinte d’un horaire de travail à temps plein et d’une progression salariale significative beaucoup plus difficile ;
  • Une baisse du taux de syndicalisation. Le fait d’être syndiqué est le facteur qui accroît le plus la probabilité, pour un jeune travailleur, de bénéficier d’un régime complémentaire de retraite offert par l’employeur. C’est aussi l’un des principaux facteurs qui puissent substantiellement influencer à la hausse le taux de couverture par un RCR. Or le taux de syndicalisation est malmené par la transition vers une économie de services.

Ces considérations se traduisent en des questions très concrètes au sujet des objectifs et des rouages actuels du système de retraite : quel niveau de remplacement de revenu à la retraite les véhicules d’épargnes doivent-ils faciliter? Quel devrait être l’âge de la retraite? Comment devrait se faire la transition emploi-retraite? À quelle part des revenus de retraite les régimes publics devraient-ils contribuer? À quelle part devrait contribuer l’épargne individuelle? Comment faciliter le transfert de l’épargne retraite du travailleur lors d’un changement d’employeur?

Pour souscrire pleinement au principe d’équité intergénérationnelle, il est indispensable de déployer des efforts au-delà de la simple réfection des véhicules d’épargne à la retraite existants et d’entreprendre une réflexion plus englobante sur le système de retraite et son avenir, afin d’assurer son efficience et son efficacité à long terme. Pour que les prochaines générations de travailleurs continuent de bénéficier d’outils de retraite adaptés à leur époque et répondant à leurs attentes, cet exercice doit se faire plus tôt que tard. Les consultations quinquennales de la Régie des rentes du Québec, anticipées pour l’automne 2015, devraient offrir une fenêtre opportune pour débuter le travail.