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Une trappe fiscale qui perdure, mais de façon atténuée pour certains. Les impacts du dernier budget fédéral sur le SRG des personnes de 65 ans et plus revenant sur le marché du travail à temps partiel.

Par

Michel Lizée, Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes

Le dernier budget fédéral déposé par le ministre des Finances[1] a introduit des changements dans les règles régissant le Supplément de revenu garanti (SRG) et l’Allocation[2] qui vont intéresser particulièrement les personnes de 65 ans et plus qui veulent demeurer ou retourner sur le marché du travail à leur compte ou pour un emploi leur permettant de gagner 15 000 $ ou moins. Cet article veut expliquer les changements apportés et en illustrer l’impact sur le niveau du Supplément de revenu garanti (SRG) qui sera versé à une personne seule et sur la différence que cela fera sur son revenu total. Ces changements s’appliqueront pour les prestations du SRG versées àcompter du 1er juillet 2020.Expliquons d’abord les changements que contient le budget.

Le poids de la trappe fiscale

Commençons par rappeler que la fiscalité a un rôle déterminant dans la composition des plus bas revenus. Ainsi, pour chaque 1 $ de revenu annuel autre que la Pension de sécurité de vieillesse ou le premier 3 500 $ de revenus d’emploi, la prestation du SRG est réduite d’un montant variant de 0,50 $ à 0,75 $ selon le niveau de revenu gagné. En tenant compte des impôts et cotisations, pour chaque 1 $ additionnel de retrait REER ou de revenu d’emploi, on doit retourner aux gouvernements jusqu’à 0,85 $ et parfois un peu plus même. C’est ce qu’on appelle la « trappe fiscale ». Or, le budget a introduit des changements aux mesures d’exemption qui atténuent quelque peu l’effet de cette trappe fiscale sur les plus bas revenus, comme le montre le tableau suivant :


L’impact de ces changements sur les prestations du SRG et le revenu total brut

Dans le graphique qui suit, nous avons supposé que les revenus d’emploi ou tirés du travail indépendant représentent la moitié des revenus de l’année (sans tenir compte de la Pension de sécurité de la vieillesse (PSV) : ces autres revenus peuvent comprendre, le Régime de rentes du Québec (RRQ), un régime complémentaire de retraite, un régime enregistré d’épargne retraite (REÉR), des revenus de placements ou des revenus de location nets par exemple. Le graphique suivant illustre l’augmentation du Supplément de revenu garanti et du revenu total pour une personne seule de plus de 65 ans suite à l’instauration des nouvelles mesures du budget fédéral.

Le tableau qui suit supprime l’hypothèse que le revenu d’emploi représente la moitié du revenu et présente donc le gain brut du SRG et du revenu total pour différentes combinaisons de revenus avant PSV et de revenus d’emploi.

Cette amélioration sera positive pour plusieurs personnes et constituera un incitatif réel à demeurer ou retourner sur le marché du travail. En même temps, le problème du taux de récupération excessif du SRG (50 ou 75 % pour chaque 1 $ de revenu additionnel selon le niveau de revenu), ce que nous avons désigné plus haut sous le terme de « trappe fiscale », va continuer à s’appliquer, même avec cette nouvelle mesure, comme l’atteste le tableau suivant.

On voit que les taux de récupération demeurent très élevés, atteignant même 86 % dans certains cas[3]. Le débat reste donc entier : comment réformer le programme fédéral PSV/SRG pour encourager davantage à épargner pendant la vie active en vue de la retraite ou encore à maintenir une présence sur le marché du travail une fois à la retraite ? Il est étonnant de constater, par exemple, que le Compte d’épargne libre d’impôts (CELI) est le seul produit qui évite le problème de la trappe fiscale et constitue une alternative intéressante au REER/RVER pour les personnes dont la capacité d’épargne pendant la vie active est limitée et qui n’ont pas accès à un régime collectif de retraite. Pourtant, le CELI n’a pas été conçu explicitement pour la retraite.

Ceci dit, pour les personnes qui sont en bonne santé et prévoient une bonne espérance de vie, un attrait de la nouvelle mesure est qu’il pourrait permettre à certaines personnes de ne pas réclamer à 65 ans la Pension de sécurité de vieillesse ou le Régime de rentes du Québec pour vivre plutôt de leurs revenus d’emplois et autres revenus et bénéficier, au moment où ils feront leur demande de PSV ou de RRQ, d’une augmentation à vie de 7,2 % par année de report pour la PSV et de 8,4 % par année de report du RRQ, deux régimes garantis à vie et qui sont pleinement indexés au coût de la vie.

Conclusion

Pour citer une phrase chère à certains politiciens, cette mesure « retourne de l’argent dans les poches » des personnes à revenu modeste de 65 ans et plus qui demeurent ou retournent sur le marché du travail et y gagnent moins de 15 000 $. Le budget fédéral constitue donc une amélioration réelle pour un certain nombre de personnes de plus de 65 ans à revenu faible et modeste. Mais il ne corrige pas vraiment le problème de la trappe fiscale et du taux excessif de récupération du SRG au fur et à mesure que le revenu augmente. Se faire enlever 70 % ou plus de chaque dollar additionnel gagné est injuste au plan fiscal, surtout quand on est parmi les plus pauvres de la société et que son niveau de vie est déjà nettement diminué par rapport à ce qu’il était pendant qu’on travaillait.


[1] Source : https://www.budget.gc.ca/2019/docs/themes/seniors-aines-fr.html

[2] L’Allocation est une prestation offerte à l’époux ou au conjoint de fait d’un prestataire du Supplément de revenu garanti qui est âgé de 60 à 64 ans dont les revenus du couple sont faibles.

[3] On peut s’étonner avec raison que certains cas excèdent 75 %. La réalité est que la Table des montants des prestations. Montants des prestations en vigueur de janvier à mars 2019 publiée par Emploi et développement social Canada produit, pour des raisons inexpliquées, des taux marginaux de récupération, dans la zone de récupération à 75 %, qui varient de 50 % à 75 % à… 150 % !